jeudi 17 décembre 2009

Trio infernal et fantasmes hors limites

C’est en 2003 que Marlène Chalfoun, ex-employée du Service correctionnel, se voyait acquittée d’accusations de complot d’agression sordide sur trois de ses proches.  Elle correspondait en apparence dans ce but avec deux prédateurs sexuels dont elle était devenue la « petite Karla » et avec qui elle forma un trio infernal.   

Marlène Chalfoun
Une question s’impose à quelques esprits tatillons : un homme dans la situation de cette femme aurait-il bénéficié de la même indulgence de la cour ?  Question encore plus importante : les autorités sont-elles intervenues afin de contenir le scandale qui allait éclabousser leurs services, en soustrayant le plus possible de l’attention des médias les exploits scabreux d’une employée jusqu’ici modèle et bien notée ?  Autopsie d’une énigme criminelle et judiciaire. 

En février 2007, le tribunal d’arbitrage avait tranché : Marlène Chalfoun ne pourrait plus exercer ses fonctions d’agente de probation. L’arbitre Lyne Tousignant confirmait ainsi la décision du ministère de la Sécurité publique qui avait congédié son employée dès son incarcération en 2002.  Selon Me Tousignant, Chalfoun avait posé des gestes « incompatibles avec (ses) fonctions » en plus d’avoir rompu le lien de confiance avec son employeur et d’avoir « terni l’image du ministère et de l’administration de la justice. » 

Il n’aurait plus manqué que cette étrange femme, mesurant cinq pieds et pesant 100 livres, dont la photo avait fait la une pendant des mois, ayant bénéficié d’un acquittement aussi improbable que sensationnel, ne réussisse en prime à se voir réintégrée dans les fonctions qu’elle avait perverties.  L’affaire Chalfoun demeure à ce jour l’un des épisodes les plus troublants et les plus obscurs de notre histoire judiciaire récente, d’abord en raison des faits établis et de leurs motivations restées à ce jour ténébreuses, tout autant qu’à cause du déroulement et du dénouement surréalistes de la procédure judiciaire qui s’ensuivit. 

Le procès de la jeune femme a laissé dans les mémoires une impression de démission de la part de la Couronne et de dissimulation de la part de la Cour, malgré des faits allégués de nature à glacer le sang.  Mais pourquoi s’en faire puisque seuls des êtres humains étaient menacés ?

Le complot

Un complot d’agressions sexuelles supposé, ourdi entre juin et septembre 2002, implique à l’origine Chalfoun et Nick Paccionne, un délinquant dangereux détenu à Port-Cartier depuis 1998.  En mai 2002, Paccione annexe à leur bizarre tandem Angelo Colalillo, un ancien compagnon de bagne, plus tard arrêté en même temps que Chalfoun. Il sera désigné au procès sous le pseudonyme de Frank. L’individu se suicidera en 2006 avant la tenue de son procès pour l’agression sexuelle et le meurtre de trois jeunes filles, crimes évoqués dans sa correspondance avec Paccione et Chalfoun.  Nous n’avons donc pas affaire à un enfant de chœur et l’accusée, diplômée en criminologie et auteure d’une étude sur les délinquants dangereux, peut difficilement sous-estimer sa dangerosité.

Les lettres de Chalfoun font état d’un plan crapuleux. L’agente demande à Paccione de proposer à Colalillo de s’introduire chez sa cousine, de la violer ainsi que ses deux enfants, puis de l’éventrer en vue d’incriminer le mari.  Précisons qu’il n’est pas ici question « que » d’agression sexuelle.  Elle se dit prête à fournir l’adresse et va jusqu’à rencontrer Colalillo une première fois à son commerce.  Qu’on la juge consciente ou non de l’impact de ses gestes, l’agente de liaison dangereuse glisse peu à peu du complot vers son exécution.

L’affaire se corse lorsque Chalfoun reconnaît un portrait-robot de Colalillo dans les journaux, fourni à la suite de la déposition d’une victime qui s’était donnée pour morte après avoir été menottée, violée et étranglée en plus de voir sa chambre incendiée.  L’agente donne rendez-vous à son comparse, manifestement angoisssé, le 2 octobre, dans un café de La Salle sans se douter que l’homme est filé depuis le matin.  Une autre victime survivante l’avait en fait identifié parmi des photos de suspects.  Un policier épie leur conversation à une table voisine tandis qu’un autre filme l’entretien de l’extérieur.  Ils sont arrêtés peu après.

Chalfoun nie, lors de son interrogatoire, toute implication sérieuse dans les fantasmes sulfureux de Nick Paccione et affirme qu’elle souhaitait, par ses lettres compromettantes, mettre le détenu à l’épreuve.  Les deux étonnants correspondants s’écrivent depuis 1998.  Quatre années de test épistolaires paraissent excessives aux autorités qui refusent à l’ex-agente une libération sous caution.  

Lors d’une perquisition au domicile de Colalillo, on trouve par ailleurs du matériel pornographique d’une violence atroce montrant des femmes et des enfants torturés, violés et jusqu’à des meurtres.  Des lettres de Paccione sont également découvertes.  Le 4 octobre, c’est au tour de la cellule de ce dernier d’être passée au peigne fin : 350 lettres accablantes, impliquant aussi bien Colalillo que Chalfoun, sont découvertes.  C’est le début de la descente aux enfers du trio.

Les médias se demandent s’ils ne se trouvent pas en présence d’une nouvelle affaire Homolka.  Ces soupçons expliquent sans doute l’extrême discrétion dont les autorités entourent le procès.  Plusieurs prétendent que l’ordonnance de non-publication des lettres incriminantes répond à cet objectif.  C’est toutefois l’avocat de Colalillo, lui-même en attente de procès, qui est à l’origine de cette requête.   Le juriste disait vouloir éviter que la divulgation prématurée d’un contenu aussi compromettant ne nuise à son client.  Quoi qu’il en soit, il est certain que cette demande a dû inspirer un profond soulagement du côté du Service correctionnel et de la cour municipale de Montréal.

Le procès

Lors de sa comparution, sous le chef d’inculpation d’avoir comploté avec deux prédateurs sexuels, l’ex-agente affirme en guise de défense avoir voulu « vidanger » l’imaginaire meurtrier de Paccione par des « histoires totalement fictives. » Autant éteindre un feu de foyer en incendiant le chalet. Elle ajoute avoir voulu – cette fois encore – « tester Frankie », alias Colalillo, qui le fascine.  S’agit-il d’un prédateur sexuel, d’un simple pervers ou d’un futur auteur à succès ? 

Cette curieuse fascination a déjà de quoi faire sourciller le magistrat le plus apathique, quand l’accusée avoue elle-même fantasmer à partir de son ex-conjoint, de la fille de celui-ci ou de sa cousine.  Cette fois, on passe de la « simple » étude de mœurs à l’aveu de fantasmes pour le moins équivoques, dont la nature reste obscure.  Pour tout arranger, l’ex-agente se dit « à la recherche de nouveaux hommes, de nouveaux amants, de nouvelles aventures menant à des orgies. »  On peut se demander à quel type d’orgie elle fait ici allusion.  La Couronne ne nous éclairera pas plus sur ces points précis.

Alors que Chalfoun répond pendant plusieurs jours aux seules questions de son avocat, le procureur de la Couronne, Me Louis Miville-Deschênes, ne procède étrangement à aucun contre-interrogatoire, et ne présente pas plus de contre-preuve.  Y a-il un pilote dans l’avion ?  L’attitude de l’avocat en interloque plus d’un, autant parmi les observateurs, les journalistes que chez les membres du barreau. Miville-Deschênes ne s’objecte pas davantage à l’ordonnance de non-publication de la correspondance incriminante.  La quête de la vérité ne semble pas sa tasse de thé dans cette affaire...

De son côté, la défense plaide, en s’appuyant sur l’avis du psychiatre Louis Morissette, que l’accusée ne voulait que fantasmer et créer des histoires macabres en vue de satisfaire l’imaginaire maladif de Paccione.  Bref, selon Morissette, la femme n’est nullement agressive, ni impulsive et encore moins dangereuse.  Ce psychiatre, témoin expert de nombreux procès, a par la suite jugé que Karla Homolka ne représentait aucun danger pour le société avant de se voir récemment accusé de parjure et d’entrave à la justice dans le procès de Francis Proulx.  

Louis Morissette, psychiatre.
Devant l’avis de ce médecin, alors crédible, et la nonchalance de Miville-Deschêsnes, la juge Micheline Corbeil-Laramée décidera d’acquitter l’accusée, à la stupeur générale.  La juge estime, contre toute attente, que « la correspondance échangée avec les deux hommes ne constituait pas un véritable complot, mais se situait plutôt dans la zone de fantasmes d’une femme ayant d’importantes carences affectives ».  Il faut se pincer fortement pour croire qu’un tel verdict ait pu être rendu…

Juge Micheline Corbeil-Laramée
Philippe Riboty, écrivain alors enseignant en psychologie, s’est exprimé comme suit sur le verdict dans La Presse du 25 novembre 2003 : « Sa libération (de Chalfoun) s’appuie sur une expertise médicale pour le moins surprenante qui la décrit comme une personne ne souffrant d’aucune pathologie, qui n’est pas dangereuse et qui a, tout au plus, des fantasmes malsains. Ce verdict est d’autant plus inquiétant que la Couronne n’a exigé aucune contre-expertise alors que, si tel avait été le cas, elle aurait pu obtenir un diagnostic diamétralement opposé se résumant comme suit : l’accusée est une sadique sexuelle de type paraphilie atypique, suicidaire, dangereuse et souffrant d’un trouble de personnalité mixte assorti d’un acting-out en évolution graduelle nécessitant un suivi psychologique. »  En français courant : un avenir incertain comme dame de compagnie.
Il n’est pas téméraire de présumer qu’une contre-expertise de ce genre, si elle avait été produite par la Couronne, aurait pu influencer le cours du procès comme son dénouement.  Il n’est pas invraisemblable non plus de croire que d’autres avis de spécialistes, allant dans le même sens, auraient pu être débusqués, même pour un homme de loi moins expérimenté que Miville-Deschênes.

Comme s’il ne s’était pas assez traîné les pieds, le procureur, après avoir pourtant reconnu que Chalfoun ne pouvait ignorer le risque de crimes graves, avoue candidement qu’ il n’est « pas déçu » du verdict et qu’il n’en appellera « probablement pas. »  Vous avez bien lu.  Que déduire d’une telle attitude, devant une cause apparemment gagnée d’avance ?  C’est comme si Marlène Chalfoun avait remporté son procès par défaut. 

Questions sans réponses

En plus de semer le doute sur l’intégrité du processus judiciaire, l’indolence de la Couronne et la volonté manifeste de la Justice de minimiser le plus possible, voire d’étouffer cette affaire par un verdict singulier, n’a certes pas permis d’aller au fond des choses et de connaître avec certitude les motivations profondes de l’accusée.

On frémit à l’idée des conséquences, si Colalillo avait pu entrer en contact avec les victimes désignées. La jeune femme méditait-elle une vengeance réelle envers ses proches ? Était-elle plutôt animée, comme le suppose Riboty, par un instinct sadique sexuel ?  Se peut-il enfin qu’elle n’ait vécu son complot, comme l’affirmait la défense, que comme un fantasme à effets spéciaux sans réellement souhaiter sa réalisation ?  Nous n’aurons probablement jamais de réponses définitives à ces questions.

Nul doute que la complaisance du système à l’égard de l’ex-agente n’a eu d’égale que l’aversion et la réprobation générales inspirées par les événements sordides qui ont mené au procès.  Quelle conclusion contrastante d’avec les erreurs judiciaires qui ont accablé des citoyens sans reproche comme Simon Marshall, Harold Bouchard, Michel Dumont ou Fernand Halde, pour ne nommer que ceux-là.[1]

Possiblement avantagée par son sexe, Marlène Chalfoun a pu bénéficer d’une indulgence injustifiée que des hommes, cités à procès pour des crimes identiques, n’auraient pu revendiquer.  Il est cependant plus probable que les autorités judiciaires aient préféré éviter ou minimiser un scandale qui aurait pu prendre une dimension planétaire, si les lettres avaient été divulguées.  Il est tout autant plausible que leur médiatisation auraient rendu encore plus difficile l’acquittement qui allait représenter l’aboutissement de cette trop perceptible opération de damage control.    

Bref, pour aller au fond des choses, il fallait enjamber deux vaches sacrées : une femme accusée d’un crime crapuleux, mais surtout, la probité apparente de notre système carcéral et de ses agents.  Il s’agissait d’une tâche apparemment insurmontable.  Une telle saga n’est pas sans ressusciter le vieux dicton voulant que si les bonnes filles vont au ciel, de moins bonnes, elles, vont partout… Ou peu s’en faut  !

Bibliographie : articles de Cyberpresse et du Journal de Montréal.
Ce texte constitue le sixième chapitre d’un essai inédit dont je suis l’auteur.  Il s’intitule Le syndrome de la vache sacrée.

[1] Voir dans ce blog : De véritables fausses allégations…

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Chronique d'un Âne annoncé, de celui qui est apparu dans l'affaire Hermil, puis au sujet duquel il a été écrit l'article de Yves Boisvert du 29 avril 2009 intitulé: " Manuel pour se tirer dans le pieds ". Un autre futur scandale qui apparaît à l'horizon.

Quand nos Grands Représentants se déplacent il y a de la bisbille.
Il y a eu bel et bien continuation , par Louis MIVILLE-DESCHÊNES, envers une personne handicapée, de harcèlement criminel et vol par Terence STOROZUK, Alain VADEBONCOEUR, Mina TAKLA, par témoignage le 7 septembre 2011 devant le Palais de Justice de Montréal .
Le harcèlement criminel et vol à l'endroit d'une personne handicapée; c'est ce qui a été établi par un rapport très récent de L'IVAC ( Indémnisation des Victimes d'Acte Criminel ). D'autant plus que Louis MIVILLE-DESCHÊNES qui remplace Anne-Marie OMANN est un fait qui confirme fortement cette hypothèse de harcèlement envers une personne handicapée ou en tout cas en donne au moins l'apparence. Monsieur le Ministre Bernard KOUCHNER n'aurait pas été content de ces faits, victime d'autres faits indélicats et abusifs de la part de l'Agence des Services Frontaliers du Canada pour avoir , en juin 2010 déclaré que les membres de cette institution sont des imbéciles ( voir l'article du quotidien LE DEVOIR du 19 juillet 2010 ). Affaire surprenante en lien avec la criminalité helvétique pour en être un rouage qu'elle est, puisque l'on sait que les actes dérogatoires de l'Agence des Services Frontaliers du Canada sont allés dans le sens de paralyser une procédure criminelle par obstacle à son déroulement, devant la 13 ème Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris pour avoir détourné et capté des pièces de procédure et éléments, et fait obstacles à l'accomplissement des droits de partie civile. Alors devons nous nous interroger si la criminalité helvétique via un avocat genevois qui a recelé des éléments de dossier secret de la G.R.C. du 4225, Dorchester Ouest, Montréal, ( poursuivi à Paris ) n'a pas gagné les rangs des membres de l'Agence des Services Frontaliers du Canada. Ou, est-ce que cela cache encore quelque chose de beaucoup plus grave ? Alors que va t-il se passer le 7 novembre 2011 au Palais de Justice de Montréal en salle 4.07 ? On devrait aussi demander au Docteur Mailloux ce qu'il penserait du comportement de membres de l'ASFC qui , avec un QI moins élevé que celui du singe Bonobo qui connait 200 mots, ne savent pas lire bas ou haut sur un élément dans un transport international, ou du comportement d'un membre d'un corps de fonctionnaire annexe qui braque avec une arme de poing une personne atteinte de cancer en phase terminale lors d'actes assimilables à une invasion de domicile à 6 h 00 du matin.

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

Un être décidément étonnant, ce Me Miville-Deschênes, et surtout paradoxal. Avocat de la Couronne dans l'affaire Chalfoun, il a donné l'impression, par sa passivité, de travailler à l'acquittement de l'ancienne agente de liaison. Comme la dame a des antécédents avérés de prostitution, l'attitude de cet avocat peut laisser place à des spéculations dont il aurait pu faire l'économie.

Autre paradoxe étonnant, dans l'article de Yves Boisvert, cette indulgence presque aussi mollassonne que celle manifestée envers Chalfoun, pour ensuite réclamer une peine aussi sévère, quoique normale, envers l'accusé de l'affaire relatée dans l'article.

Voilà qui n'indique en rien que la personne handicapée dont vous parlez aura droit à la protection à laquelle elle est en droit de s'attendre. Nul doute que cette affaire, et ses tenants et aboutissants, restent à suivre.

Anonyme a dit…

Vous n'avez rien compris mais alors rien compris de l'affaire Chalfoun ... j'suis convaincu que vous n'avez pas entendu une minute d'audience du procès R. c. Chalfoun pour déblatérer des âneries pareilles...

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

Je salue la force de votre argumentaire pour traiter mon propos d'âneries. Voilà qui en dit long sur votre sens didactique.

Maxellis a dit…

...réplique aussi vide que le reste de ton blogue !!!!

Maxellis a dit…

...réplique aussi vide que le reste du blog ... vraiment malhonnête comme blog parce que vous ne connaissez rien de cette affaire et vous la jugez à la lumière des articles de journaux que vous avez parcouru. Un autre connard qui se prend pour un juriste ou un criminologue...

Maxellis a dit…

...réplique aussi vide que le reste de ton blogue !!!!

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

En tout cas, vous, je sais pour qui, ou plutôt pour quoi, je vous prends : une être inintelligent et frustré incapable de s'exprimer autrement que par l'injure et par son incapacité à argumenter. Aucun fait, aucune hypothèse, le néant didactique absolu. Vous être pathétique et ridicule.

Une première depuis 2009 : Blogger retire l'un de mes billets.

Pour des raisons indéfinissables, Blogger a retiré mon article intitulé À quand un prix Diane Lamarre ?   C'est la première fois depuis ...