jeudi 18 août 2011

Relâcher Guy Turcotte, êtes-vous sérieux ?

Turcotte peut-il vraiment
réintégrer la société ?
Si les voies du Seigneur sont impénétrables, celles de la Justice, empruntant sans doute d’autres avenues, demeurent tout aussi mystérieuses.  Guy Turcotte est un homme qui, selon le verdict rendu par un jury de 11 personnes, n’avait pas conscience de ses actes au moment où, sous l’emprise d’une démence aussi brutale que passagère, il a assassiné en 2009 à Piedmont de 27 coups de couteau son fils de cinq ans, et de 19 autres sa fille de trois ans, dans un contexte de séparation houleuse.  La Commission d’examen des troubles mentaux a le plus sérieusement du monde envisagé, parmi trois options possibles, sa libération imminente.  Le principal critère d’évaluation : le degré de dangerosité pour la société.

Un peu suivant le modèle d’un procès, les deux parties devaient chacune présenter, ce 12 août, leurs experts et prouver leur point, avant que la réception de la  lettre mystérieuse d’une présumée connaissance de l’ancien cardiologue contenant des « allégations sérieuses » et des « informations importantes » ne vienne brouiller les cartes et entraîner le report de la séance au 4 novembre prochain.  D’ici là, Turcotte restera confiné à l’Institut Philippe Pinel.  N’eut été de ce coup de théâtre, le meurtrier de ses enfants aurait sérieusement pu se voir libéré.

« Il y a une possibilité réelle qu’il (Turcotte) soit bientôt libéré, affirmait dès le 6 juillet Louis-Michel Côté, avocat criminaliste spécialisé en psychiatrie légale.   Ce que le code criminel dit, c’est que s’il ne représente plus un risque important pour la sécurité du public, il doit être libéré de façon inconditionnelle. »  Vous avez bien lu : «  de façon inconditionnelle ». Et si c’était la société qui représentait un risque important pour la sécurité de Turcotte ?

Me Louis-Michel Côté
Reste la possibilité, apparemment nourrie par l’envoi de la lettre, que la dangerosité de l’homme soit établie, ce qui lui vaudrait l’internement pour une durée d’un an, avec réévaluation annuelle de son cas.  Il pourrait également se voir libérer avec modalités, si le risque pour le public est jugé « important mais assumable ».  Dans pareille éventualité, Turcotte devrait également se représenter devant la Commission dans un an à des fins de réévaluation en plus, entre-temps, de garder la paix, de demeurer dans un endroit connu ou approuvé, de ne pas consommer de drogue ni d’alcool, de ne pas entrer en contact avec certaines personnes (on peut présumer lesquelles…) et de respecter le plan de soins imposé. 

La moindre des choses…

J’insiste sur la dernière condition de la libération avec modalités : « respecter le plan de soins imposé ».  Cette option devrait, au même titre que le critère de dangerosité, devenir une condition incontournable dans le contexte d’une remise en liberté consécutive à un drame aussi bouleversant.  Supposons que, malgré l’incident de la lettre, le gars soit déclaré inoffensif, qu’il ne risque pas de sitôt de récidiver, ce qui ne serait pas surprenant, le critère de dangerosité pour autrui devrait-il vraiment rester le seul à considérer ? 

A-t-on sérieusement évalué qu’au lendemain du verdict le plus contesté de l’histoire judiciaire récente du Québec, on pourrait laisser cet homme retourner tranquillement à une vie normale, sans qu’il n’ait à affronter au quotidien le souvenir de ses victimes, de sa propre folie, la réprobation de son ex et de la famille de cette dernière ?  Même en préservant au maximum son anonymat, pourra-t-on éviter que des curieux finissent par découvrir sa retraite ?  Et le jugement de la population, on ne peut ne pas y avoir pensé. 

Karla Homolka : l'aimeriez-vous
pour voisine ?
Souvenons-nous de Karla Homolka.  Il n’a pas fallu longtemps avant que sa nouvelle identité, son adresse et son employeur ne fassent la manchette.  Or le cas de cette femme est fort différent.  Complice des homicides commis par son conjoint, Paul Bernardo, surnommé le violeur de Scarborough, Homolka était une sociopathe par association qui avait activement participé aux meurtres de nombreuses jeunes filles, dont sa propre sœur.  Malgré 12 ans de réclusion, elle avait toujours refusé toute forme de thérapie.  La Justice a choisi de la libérer le 4 juillet 2005, moyennant des informations incriminant son conjoint.  Son risque de dangerosité à elle avait bien davantage de quoi inquiéter que celui de Turcotte, citoyen irréprochable avant les meurtres.

Si, comme c’est fort possible, l’ancien cardiologue s’expatrie, à l’exemple d’Homolka, peut-t-il sérieusement retourner à la pratique médicale ?  Dans le cas improbable où il y serait autorisé, quel établissement prendrait le risque de l’engager sans mettre en péril sa crédibilité, sa réputation de moralité ou la confiance des patients ?  Comment envisager alors sa réinsertion sociale et professionnelle ?  Dans quelle branche se réorientera-t-il : garçon boucher, lanceur de couteaux dans un cirque, ou squeegee, un boulot qui lui permettrait de rentabiliser son expertise en lave-glace ?  Parlez-moi de perspectives d’avenir…

La cohérence, c’est pas criminel…

Si vous êtes de ceux, probablement majoritaires, qui considèrent que Turcotte aurait dû se voir reconnu criminellement responsable, encourir la perpétuité, ou mieux, voir la peine de mort rétablie exprès pour lui, vous devez trouver que je m’en fais bien inutilement pour pareil gibier de potence.  Si vous pensez ainsi, je dois vous dire que, sur la base du doute raisonnable, je suis solidaire du verdict très sensé et courageux des 11 citoyens intègres et responsables qui ont composé le jury du procès Turcotte.  Je rappelle que la photo de ma personne apparaissant dans mon blog reste très ressemblante, pour ceux qui voudraient s’en inspirer afin de modeler une poupée vaudoue prête à piquer. 

Isabelle Gaston : la douleur peut devenir
mauvaise conseillère.
Pour ne pas être en reste, je trouve dommageables et inquiétantes les nombreuses manifestations de protestations contre le verdict, bien que certaines revendications valent d’être examinées.  Ainsi, Isabelle Gaston a raison selon moi quand elle affirme que les experts psychiatres devraient rester indépendants, et non assujettis à le défense ou à la Couronne, dans un souci de neutralité et d’objectivité.  Par contre, l’hypothèse de supprimer les procès devant juge et jury constituerait une terrible erreur… judiciaire, si j’ose dire.  Une telle mesure donnerait beaucoup trop de latitude à un système qui ploie littéralement sous le poids d’abus de pouvoir de toutes sortes.

Abolir les procès devant jury, c’est supprimer la dernière possibilité citoyenne de se faire entendre dans une cour de justice où la démocratie est trop souvent malmenée.  C’est notamment ouvrir la porte aux verdicts décidés d’avance cautionnant de fausses allégations.  Mme Gaston a tort d’imputer la décision du jury à une quelconque ignorance ou incompétence.  Quand bien même ses membres connaîtraient par cœur le code criminel, ils auraient été contraints, compte tenu du concept de doute raisonnable, des paramètres expliqués par le juge et des avis des experts psychiatres, d’en arriver à la même conclusion.  Point à la ligne.

Notre justice aussi doit se montrer responsable.
Pour ce qui est de Turcotte, notre système ferait preuve d’une légèreté coupable, voire possiblement criminelle, si elle relâchait cet homme sans soutien psychosocial.  De l’avis de plusieurs, l’absence généralisée d’une telle assistance se trouve à l’origine de nombreuses tragédies impliquant des hommes dans le rôle du meurtrier.  À défaut d’avoir su prévenir, il faudrait, dans le cas présent, au moins songer à guérir.

13 commentaires:

Anonyme a dit…

Question intéressante: a t-on un casier judiciaire si on est reconnu coupable mais non criminellement responsable- ce qui est le cas de Turcotte?
Si oui, je lui souhaite bien du plaisir à essayer de recoller sa vie car, a l'instar de la marâtre d'Aurore, il est l'homme le plus profondément détesté de la province, voire du pays.
Si non, alors il aura l'occasion de changer de nom légalement, émigrer vers un pays qui acceptera son diplome et ses compétences et pourra repartir plus ou moins à zéro.
l'Afrique me semble un très bon choix pour ce merdeux.
Je réitère: je n'ai jamais accepté la thèse de la folie passagère, surtout lorsqu'elle s'appuie sur une psychiatrie non-médicale (une simple prise de sang fournit à la psychiatrie médicale les indicateurs requis pour *prouver* un étât second, ce qui n'est pas le cas ici)tandis que la thèse de la rage meurtrière explique beaucoup mieux tous les faits. I.e parfaitement fonctionel au travail (loin de ses problèmes); revient à la maison et relit les courriels de son ex (pompe la rage) double meurtre particulièrement sanguinaires (exhultation de la rage + désir de vengeance contre son ex) et finalement, sa compréhension du mal qu'il a commislorsque les premiers intervenants sont sur les lieux et receuillent son témoignage.
Nous avons tous, à un moment ou un autre dans notre vie, dit ou fait des choses sur un coup de rage que nous regrettons amèrement par la suite. Ca ne fait pas de nous des fous irresponsables et nous devons tous assumer les conséquences de ce coup de rage. Pas de free pass.
Dommage que des sciences molles et ironiques nous fassent perdre de vue un constat aussi simple.

Malthus

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

Maudite bonne question sur le casier judiciaire ! Je n'y avais pas pensé. De toute façon, quoiqu'il fasse, cet homme est condamné... à vie. Où qu'il aille, en Afrique, comme vous le suggérez, ou ailleurs, il est cuit, dans un contexte de mondialisation de l'information.

Même s'il est possible que vous, et 70 % du Québec, ayez raison, je vous rappelle la notion de doute raisonnable. Je ne suis pas convaincu que Turcotte n'est pas un habile manipulateur, qui a su, conseillé par de non moins habiles avocats, jouer sur la corde sensible du jury et rentabiliser trois psychiatres contre un seul pour la Couronne. Ce qui m'effraie le plus, chez les opposants au verdict, c'est leur volonté d'en finir avec les procès avec jury. Ça, voyez-vous, ça m'emmerde au moins autant que vous enquiquine l'arrêt Grant.

Anonyme a dit…

Chez nous, en Belgique, un crime peut être commis de manières atroces sous l’influence de drogues ou d’antidépresseur tel que le « PROZAC ». En effet, le « PROZAC » peut agir en annihilant le « conscient » du sujet.
Le sujet tue alors sans état d’âme…
Je dis ça comme ça, car « PROZAC » a fait l’objet de plusieurs plaintes qui furent étouffées à coups de millions. Et on n’a plus entendu parler du scandale des comprimés « PROZAC ».

Sur Google, j’ai trouvé ceci :
L'industrie pharmaceutique nous tue avec le Prozac - La ...
Le prozac, ce bonbon qui nous tue. Les scandales se multiplient au sein de l'industrie pharmaceutique ; l'absence d'une surveillance sérieuse est devenue ...
http://www.mensongepsy.com/fr/?page_id=37

Alors ? Que croire ?
« Selon le BMJ, Eli Lilly savait depuis les années 1980 que la fluoxétine (molécule du prozac selon l’auteur du site) pouvait altérer le comportement des malades, et l’a soigneusement caché…

Voici un article très intéressant montrant à quel point les industries pharmaceutiques nous mentent pour vendre des produits dangereux.

Les documents confidentiels paraissent suggérer un lien entre le médicament et les tentatives de suicide ou actes de violence de patients”, écrit l’hebdomadaire médical de référence. Or, en 1989, dans l’Etat américain du Kentucky, Joseph Wesbecker, alors en arrêt maladie et traité par fluoxétine, tuait huit personnes, en blessait douze, avant de se donner la mort.

En 1994, accusés par les victimes, Eli Lilly se tirait d’affaire lors d’un procès retentissant, faute de documents prouvant que l’industriel connaissait les dangers liés à son produit. »

PROZAC la pilule du bonheur ?
Bien cordialement (Will)

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

Apparemment, notre justice a décrété que le lave-glace mais, surtout, un bouleversement émotionnel profond, étaient suffisants pour occasionner le double meurtre atroce de Guy Turcotte. Le jury a-t-il eu tort ou raison ? Je crois bien que personne ne pourra jamais le dire avec certitude. C'est le risque, la gageure que l'on se voit forcé de prendre avec notre Justice bien imparfaite, composée d'avocats soucieux de prouver leur point de vue, non de découvrir la vérité, de psychiatres à la solde du client qui les paie, mais aussi du jury, composé de citoyens qui font leur devoir au mieux de leur connaissance, des paramètres qui leur sont fixés et de leur conscience. À cause de la participation de ces citoyens, j'ai la faiblesse de ne pas trouver notre système entièrement pourri...

Malthus a dit…

J'éprouve la même réaction lorsque j'entends les cris pour l'abolition des jurés. Peu semblent comprendre que c'est notre seul véritable protection contre "l'unanisme" des juges.
Pour ce qui est du doute raisonnable, celui-ci devrait s'appliquer a la culpabilité de l'accusé, pas à celui de son étât mental. Si, en tant que jury, on me demande d'acquitter un double meurtrier sur la base d'incompétence mentale, je demanderais a être *certain* qu'il était fou avant de le laisser filer. Je dirais: "Prouver moi son incompétence avec le même acharnement que vous devez me prouver sa culpabilité." Après tout, il y a *toujours* un doute sur l'état mental des gens lorsque qu'ils tuent leurs enfants ou assassinent la personne aimée. Une simple notion de doute les libèrerait tous.
Non, définitivement: qui affirme une vérité dans une cours de loi doit la prouver. On ne condamne pas sur une doute. Lorsque quelqu'un est coupable, on ne devrait pas le libérer sur un doute non plus.

Maltus

Maltus

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

L'ennui, avec votre thèse, Malthus, c'est qu'elle met à mal la présomption d'innocence. Imaginez ce raisonnement appliqué aux - trop - nombreux cas de fausses allégations. En fait, pas besoin d'imaginer : c'est la réalité. Non, je préfère le risque d'erreur dans le cas de Guy Turcotte, que celui de voir progresser cette fâcheuse tendance à abolir la présomption d'innocence. S'il fallait en plus supprimer les procès devant jury, nous aurions vite fait de nous retrouver devant une justice résolument inquisitoriale, avec des abus encore pires que ce que nous connaissons.

Malthus a dit…

Je crois que nous nous comprenons mal Olivier. Loin de moi l'idée de mettre à malla présomption d'innocence- bien au contraire. Je dis simplement que lorsque qqun se présente en cours il doit être 1)présumé innocent et 2)présumé sain d'esprit. Si on veut le reconnaitre coupable ou fou, il faut en faire la preuve formelle.
Dans le cas de Turcotte, la présomption d'innocence n'existait plus puisqu'il avait admis son crime et ne contestait pas sa culpabilité. Le juge a d'ailleurs instruit les jurés qu'un verdict de non-culpabilité ne faisait pas partie des choix ouvert a eux.
Donc, *a partir du moment ou un accusé est reconnu coupable*, s'il souhaite se faire absoudre de sa responsabilité, la preuve doit être tres forte a cet effet, pas juste douteuse- vous me suivez? Sinon, tous les coupables jetterons un flou dans l'équation et s'en tireront.
Présomption d'innocence et preuves solides pour la casser, le reconnaitre coupable. Présomption de sanité et de responsabilité et preuves solides pour la casser.

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

Présenté sous cet angle, je trouve votre point de vue intéressant et défendable. Si l'on en croit les directives du juge - contestées, bien sûr, par ailleurs - la notion de doute raisonnable devait s'appliquer quant à la responsabilité criminelle, en prenant pour hypothèse de départ que Turcotte pouvait être tenu non responsable, dans l'esprit, sinon à la lettre, de la présomption d'innocence. Le fardeau de la preuve incombait donc à la Couronne qui devait prouver la responsabilité criminelle de l'accusé, donc sa culpabilité à un homicide commis en pleine connaissance de cause.

Tantine a dit…

J'espère aussi que Shafia , sa femme et son fils seront emprisonnés à vie sans possibilitées de libération, pour le meurtre sordide des 4 membres de la famille.

Tantine a dit…

Pour moi, Turcotte est un assassin au même titre que Shafia, et presque pour les mêmes raisons. Si la justice a été dans l'erreur en ne le mettant pas en prison à vie sans possibilités de libération, j'espère que s'il est maintenant libéré que quelqu'un se chargera de le torture et de le faire souffrir autant qu'il a fait souffrir ses enfants et tous ceux qui aimaient ces pauvres petits.

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

@ Tantine Dans le cas des Shafia, je crois en effet que le peine la plus sévère s'impose afin de manifester sans ambiguïté notre condamnation collective de ce genre de fanatisme religieux.

Par contre, l'oppresssion idéologique n'était pas au centre des préoccupations de Turcotte. S'il est vraiment non responsable de ses actes, en aucun cas il ne devrait être libéré d'ici la fin de ses jours. Il ne serait ainsi pas tenu à l'écart de la société pour les même raisons que si sa responsabilité criminelle avait été reconnue, mais le résultat serait avoisinant et, surtout, un meurtrier serait empêché de récidiver.

Rassurons-nous. Sur 15 individus reconnus non criminellement responsables au cours des dernières années, un seul a été libéré.

Anonyme a dit…

un court métrage fait le tour des festivals de films. Le titre est MONSTRES. Le réalisateur a été scandalisé d'apprendre le verdict de Guy Turcotte et il s'est exprimé en faisant ce film.
http://www.youtube.com/watch?v=b9R5c0_sbUQ.

Le blog d'Olivier Kaestlé a dit…

Bien ficelé, ce petit film, merci.

Une première depuis 2009 : Blogger retire l'un de mes billets.

Pour des raisons indéfinissables, Blogger a retiré mon article intitulé À quand un prix Diane Lamarre ?   C'est la première fois depuis ...