samedi 21 janvier 2012

Se protéger, la mort dans l’arme ?

Devrons-nous un jour assurer notre propre sécurité ?
Personnellement, je n’ai rien d’un westerner qui place au sommet de ses priorités de protéger sa famille et sa propriété à l’aide d’une arme à feu contre un potentiel, accidentel ou événementiel assaut occasionné par un homicide, cupide, ou stupide intrus.  Mon opinion demeure que, plus d’armes à feu circuleront dans nos communautés, pires seront les risques d’accidents regrettables occasionnés par leur utilisation inconsidérée, avec pour trop fréquent dénouement le trépas d’une ou de plusieurs victimes.  Remarquez, jamais je ne m’opposerai à ce que des gens dotés de bon sens et de toutes leurs facultés mentales, aptes à manier une arme à feu à la suite d’une formation appropriée, et suffisamment responsables pour entreposer lesdites armes à l’abri de mains juvéniles ou inadéquates, puissent s’en procurer.  Chacun son hobby et son ordre de priorités.

Mon choix de ne jamais faire entrer d’arme à feu dans mon foyer repose sur une confiance, très relative, j’en conviens, en l’efficience de nos services policiers et judiciaires ainsi qu’en nos lois.  Traitez-moi d’idéaliste, si le cœur vous en dit.

Mais il y a un « mais »…

Un événement récent m’a toutefois amené à reconsidérer mon point de vue.  Quelle attitude serait la mienne si, malgré des menaces et attaques répétées, envers les miens comme moi-même, venues d’un sociopathe devenu l’un de mes voisins, la police de ma ville se contentaient de molles remontrances à son égard, et que sa magistrature se cantonnait à sanctionner ces actes répréhensibles de sentences bonbons, dont notre tortionnaire se rirait, loin de se décourager ?  Cette question, je n’ai pu l’esquiver à la suite du meurtre sordide et gratuit de Ronald Malo, 80 ans, et de la tentative de meurtre sur deux employés municipaux de Verchères par Roland Belzil, 70 ans, principal suspect. 

Ronald Malo, victime de meurtre.
C’est à la suite de ce dernier fait d’armes, au cours duquel Luc Fortier, directeur général de la ville, et Martin Massicotte, son adjoint, ont été sérieusement blessés à la tête, à l’aide d’un couteau de cuisine, que le forcené a été arrêté.  Heureusement pour eux, un employé municipal, alerté par les cris, avait auparavant maîtrisé Belzile.  Plus tard, la même journée, la police découvrait le cadavre de Ronald Malo, sur la route Marie-Victorin, apparemment victime du même individu.  Malo était la cible, avec sa femme, de menaces et de mauvais traitements de la part de Belzile.  Ce harcèlement enragé durait depuis près de 12 ans, sans que quelque intervention que ce soit, policière, légale ou autre, ne semblât près d’y mettre un terme.

« Une agression comme ça, c’est inconcevable.  Il a agi comme un vrai sauvage », a déclaré Sylvain Malo, beau-fils de la victime.  « Depuis le début, on dénonce les menaces, le harcèlement et l’intimidation dont Ronald a été victime.  Ça fait des années que lui et ma mère vivent dans la peur. »

Comment justifier pareille inertie ?

Je me demande ce qui est le pire, dans la situation de ce couple opprimé par un psychopathe : la mort de l’homme, ou le harcèlement interminable vécu par les victimes, sans que la police, la justice et les lois ne soient parvenues à mettre un frein définitif à leurs souffrances.  Vous rendez-vous compte ?   Douze ans à subir les multiples vexations d’un dément sans l’espoir de voir une fin à vos problèmes à l’horizon ?  Comment justifier pareille inertie ? 

Selon Robert Poëti, ex-policier et chroniqueur au Journal de Montréal, il est difficile d’identifier le danger réel que peut représenter une personne.   Même quand les délits s’accumulent depuis des années ?  M Poëti prêche apparemment pour son ancienne paroisse quand il ajoute : « C’est certain que lorsque les menaces sont multipliées, il est plus difficile de déceler le réel danger. »  Vous avez bien lu.  Plus vous dénoncerez, moins on vous prendra au sérieux… Je me demande quelle marque de café boit M Poëti. 

Nicole Malo, veuve.
« Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire de plus pour prouver qu’il est dangereux ? » s’est exclamée la veuve de la victime, Nicole Malo.  Vous taire, Madame, si je m’en remets au « jugement » de M Poëti.  Moins vous auriez porté plainte, plus vous auriez été prise au sérieux…  Pour toute défense contre les gestes de harcèlement répétés de l’enragé, ce dernier a été soumis, après une poursuite au civil et une autre, au criminel, à une probation de trois ans sans surveillance, ordonnance que, aux dires de la famille de la victime, il n’observait jamais.  Des documents de cour confirment qu’il aurait omis à deux reprises de s’y conformer.  L’individu aurait par ailleurs proféré des menaces de mort envers M Malo à plusieurs reprises.  Maintenant qu’il est passé aux actes, la police détient enfin une preuve tangible qu’elles étaient fondées.  Le suspect a été finalement mis sous les verrous… trop tard !

Un meurtre annoncé

« Il nous disait toujours qu’un jour, il aurait notre peau, confie Mme Malo.  Ce n’est pas un cas où deux fils se touchent et un crime est commis.  Le meurtre a été annoncé plus d’une fois.  Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans le système ?   Est-ce qu’on banalise les menaces de mort ? »  Un bon mouvement, M Poëti, expliquez-lui…

Les problèmes des Malo avec Belzile ont débuté quand ce dernier a logé deux poursuites contre Malo pour lui avoir soi-disant vendu un terrain contaminé.  Selon les beaux-enfants de ce dernier, Belzil aurait alors voulu faire de Mme Malo son amante, récoltant un refus sans équivoque.  Il lui aurait même attrapé les seins en lui disant qu’elle lui appartiendrait de deux à trois fois par semaine !  L’étrange don Juan aurait ensuite menacé Mme Malo, selon sa fille Isabelle : « Ma chienne, tu vas voir, j’ai pas fini avec vous autres » aurait-il tonné.

Roland Belzile, suspect.
Le conflit serait ensuite devenu quotidien, donnant lieu à une première poursuite des Malo contre leur agresseur en 2005.  Depuis, le triste sire a dû comparaître à plusieurs reprises en cour, sans pour autant entendre raison, ni recevoir de sentence suffisamment dissuasive pour qu’il garde la paix.

Malgré ces hauts faits, le maire de Verchère, Alexandre Bélisle, tout en sympathisant avec la famille Malo, s’est publiquement désolé que celle-ci pense que la municipalité aurait dû intervenir pour éviter l’issue tragique de cet interminable conflit.  « Nous ne pouvons rien faire d’autre que d’appliquer les règlements municipaux dans la limite de nos moyens. » devait-il préciser. 

Alors, si un homme est mort par la malveillance d’un autre, c’est que la fatalité l’aura voulu ainsi.  Ni la municipalité, ni la police, ni la justice, civile comme criminelle, n’ont quoi que ce soit à se reprocher.  C’était écrit.  On ne pouvait rien y faire.

« Il ne faut pas qu’il sorte » a déclaré Isabelle Malo, fille de la veuve.   « S’il sort, c’est ma vie, celle de ma sœur, de ma mère et de nos enfants qui seront en danger », de renchérir son frère.

Qui sait, peut-être les autorités jugeront-elles que le suspect ne représente qu’un risque modéré pour la société et lui offriront-ils une chance de démontrer sa bonne volonté ?   Restons cools et tolérants…

Le citoyen devra-il désormais assurer sa propre sécurité ?

Affaire Belzile : la crédibilité du système
à nouveau mise à mal.
J’en reviens à mon propos initial.  Si en plus d’avoir fait preuve d’une mollesse coupable, notre système en arrivait à reprocher à un citoyen soumis pendant des années à un harcèlement soutenu d’assurer sa propre sécurité en faisant usage d’une arme à feu contre son agresseur, alors qu’il est attaqué, que devrait-on conclure de pareille attitude ? 

Je ne suis toujours pas convaincu qu’il faille en arriver à assumer soi-même sa sécurité de façon armée.  Pourtant, si des épisodes comparables à celui vécu par le couple Malo devaient se répéter, la nécessité de garantir la protection de sa famille, en l’absence d’un soutien policier et légal adéquat en pareil cas, pourrait gagner un nombre grandissant de citoyens.  Une belle province armée, où la présence d’armes à feu deviendrait aussi courante que celle de cellulaires, ça vous tente, M Poëti ?

samedi 14 janvier 2012

Les héritiers de la désinstitutionnalisation

La rue, est-ce bien leur place ?
Un grand nombre d’intervenants et de spécialistes en santé mentale s’accorde pour admettre que la désinstitutionnalisation est un échec retentissant.  En près de 40 ans, 17 000 lits réservées aux patients psychiatrisés ont été fermés au Québec.  Bien sûr, l’État a économisé, d’un côté.  Reste à évaluer les coûts sociaux - et pas qu’en dollars constants - d’une telle initiative, qui a eu pour résultat d’envoyer à la rue ou dans leur foyer inadéquat une pléthore de pauvres hères incapable d’assumer un semblant d’autonomie.  D’autres, quand ils s’avèrent trop hypothéqués ou que leurs familles ne peuvent plus assumer la tâche surhumaine de s’en occuper, sont recueillis en milieu hospitalier, un environnement nettement moins bien adapté que les établissements psychiatriques de jadis, ajoutant à la tâche d’un personnel infirmier déjà débordé. 

Premières amours…

Ces constats, je me vois aujourd’hui contraint de les refaire, à la suite de ce que je pourrais qualifier de séisme professionnel.  Je travaille en effet depuis bientôt 11 ans comme agent de sécurité.  De ces années, j’en ai passé trois à titre d’agent de service privé, à mes débuts, avec un bref retour à ce poste il y a deux ans et demi, à la fermeture de l’usine où je travaillais alors. 

Un agent de service privé est un type particulier d’agent de sécurité, très méconnu, comme la situation générale des psychiatrisés en milieu hospitalier.  Ces employés en civil se fondent dans la faune des infirmiers, médecins, préposés et autres intervenants.  Ils sont attachés à la sécurité de patients affectés par toute la gamme des problématiques de santé mentale imaginable : dépressifs, suicidaires, Alzheimer, autistiques, bipolaires, psychotiques, schizophrènes, et j’en passe.  Ces agents doivent protéger ces pauvres âmes contre elles-mêmes, mais aussi assurer la sécurité des autres employés en contact avec eux et… se protéger eux-mêmes, bien sûr.

Voilà un endroit où je ne croyais plus travailler...
C’est vers la fin novembre, alors que je voguais sur un fleuve tranquille, toujours au même poste de nuit, où je devais assurer la sécurité des bâtiments d’un client de l’agence qui m’emploie, que le destin allait me réserver un tour de sa façon.  Mes collègues et moi apprenions sans préavis que ledit client changeait d’agence de sécurité, tout en nous proposant toutefois de rester en poste. 

Aussitôt, nous nous sommes réunis pour discuter de la question, puisque c’était au prix de notre ancienneté que nous aurions pu rester en place, au sein d'une nouvelle compagnie, chez un client dont l’avenir même restait incertain, pour diverses raisons, à moyen terme.  À contrecœur, nous avons choisi de préserver notre ancienneté, donc de rester auprès de notre employeur, sous contrat avec le milieu hospitalier mauricien, et ainsi de retourner sur appel auprès de patients psychiatrisés, loin du site où  nous nous sentions si à l’aise, dans l’attente d’un hypothétique poste permanent.

La vie, c’est si fragile…

Heureusement, nous ne devions pas tarder à constater que l’ancienneté a ses avantages : nous avions des horaires à court terme, mais des horaires tout de même.  Autre « bon côté » : je me suis vu suivre certains patients plus longtemps que par le passé, ayant ainsi la chance relative d’établir un contact, si l’on peut dire, plus constant avec eux.  Ces patients avaient ceci en commun que chacun avait eu une vie normale, une conjointe, des enfants, une situation, un cercle d’amis.  En avais-je vu déjà de ces hommes et de ces femmes, jadis père ou mère, avocat, médecin, notaire, devenus on ne sait comment des loques humaines, sans avenir, avec presque pas de présent, et plus qu’un mince fil les liant à leur passé, de plus en plus ténu, au fur et à mesure que leur maladie progressait, parfois jusqu'au trépas.

« Il y a deux mois encore, ce patient était tout aussi lucide que vous en moi, autonome en résidence », me disait récemment une infirmière de l’un d’eux, qui ne communiquait plus que par grognements sonores répétitifs pour faire comprendre qu’il voulait passer de la chaise adaptée, où il était installé, vers son lit.  Le pauvre homme ne pouvait plus marcher sans assistance, pas plus que d’aller aux toilettes.  Il arrivait encore à manger par ses propres moyens, mais il fallait lui retirer ses assiettes de plastique pour qu’il ne tente pas de les mastiquer.  Ces patients deviennent souvent agressifs, voire violents, quand ils se sentent contrariés.  On peut fréquemment en obtenir une collaboration insoupçonnée, ne serait-ce qu’en leur parlant doucement, preuve d’une vague réceptivité à un peu d’humanité, de sollicitude, chez ces êtres désertés d’eux-mêmes.

Tous les patients n'ont pas l'air aussi radieux...
Un autre de ces patients, véritable armoire à glace âgée de 70 ans, s’était démarqué par un nombre record de codes blancs (appellation qui désigne une intervention immédiate de tout le personnel avoisinant en vue d’immobiliser un patient devenu violent et incontrôlable).  Il ne lui restait plus dans sa chambre que son matelas et ses draps, le reste du mobilier et des objets usuels ayant passé par-dessus la barrière qui lui bloquait l’accès au corridor.  Le septuagénaire, incapable d’une conversation suivie, donnait l’impression d’un vieux poupon en couche-culotte, ne se déplaçait la plupart du temps qu’à quatre pattes, pouvait uriner sans préavis sur le plancher de sa chambre, et se révélait si instable sur ses jambes qu’il fallait faire appel à un préposé pour qu’à deux, nous puissions l’amener aux toilettes.  Je devais constamment veiller à ce qu’il ne tombe pas.

J’avais réussi à développer un semblant de relation avec cette triste épave, qui ne pouvait plus faire un pas des toilettes au lit, ou vice-versa, sans me demander de lui tenir la main.  Quelque chose comme un lien de confiance s’était tissé de sa part envers moi, entrevu lors d'un vague sourire, d'un haussement d’épaule gêné, au point où j’arrivais à le faire collaborer avec des infirmières alors qu’il leur opposait d’abord un refus catégorique.  Le personnel infirmier, qui pourtant en avait vu d’autres, ne pouvait s’empêcher d’émettre des commentaires désolés, hochant la tête, tellement le spectacle, si l’on peut dire, d’une telle ruine, les ébranlait.  « On n’est pas équipés pour un tel patient ! » était le constat qui revenait le plus souvent.  En effet, mais qui l’est, désormais ?

La boxe, vraiment le noble art ?  
Récemment, j’ai eu à m’occuper plusieurs jours d’un ancien boxeur amateur, qui avait poursuivi ses activités sportives d’une façon inappropriée jusqu’à l’hôpital où il avait échoué.  Il avait en effet expédié au tapis un préposé d’un mètre quatre-vingt-dix, fracturé la mâchoire d’un agent de sécurité, fait sauter une canine à une infirmière, cela mis à part d’autres exploits qui, heureusement, n’avaient laissé aucune séquelle.  Si je n’étais pas déjà persuadé que la boxe reste un sport aussi primitif que meurtrier, l’état de ce patient aurait suffi à m’en convaincre.  Incapable de finir une phrase, l’homme en était réduit à la compléter par des sifflements ou des sons inintelligibles, articulés parfois avec un regard impuissant. 

Pour des raisons évidentes, je devais constamment observer une distance respectable de sa gauche meurtrière, maintenir doucement mais fermement ses poignets tandis que les infirmières le médicamentaient ou que les préposés lui changeait sa couche-culotte, et continuer de contrôler ses poings le temps que nous marchions dans des lieux peu achalandés, afin de lui permettre de se dégourdir les jambes hors de sa chambre.  Là encore, j’avais réussi à créer un lien sympathique avec ce pauvre homme, ce qui facilitait considérablement une tâche qui demandait une vigilance de chaque instant.  Le plus triste était de sentir chez ce patient une solitude affective et sexuelle poignante et bien sûr, impossible à combler, qui faisait que toute forme de vie humaine, votre serviteur compris, aurait pu contribuer à son bonheur.

Et maintenant...

Cette dernière manifestation de détresse m’a amené à me demander comment elle aurait été abordée par des aides psychiatriques, donc du personnel disposant de la formation adéquate pour la prendre en considération.  Je m’interrogeais du coup à savoir combien d’autres problèmes du genre restaient sans remède, dans l’éventualité même où ils étaient décelés. Tous les cas de patients psychiatrisés ne sont pas aussi pathétiques que ceux que je viens de décrire, mais la plupart demeurent difficiles. 

La santé mentale peut devenir un véritable casse-tête...
Tous autant que nous sommes, agents de service privé, infirmiers et infirmières, préposés ou médecins, nous restons plus ou moins des amateurs qui improvisons au mieux de nos compétences variables, bien conscients de nos limites devant les ravages trop fréquemment irréversibles des problèmes de santé mentale.  Nous aussi, au même titre que les patients démunis qui nous sont référés, nous sommes les héritiers de la désinstitutionalisation, trop souvent liés à une succession hypothéquée à répartir parmi des morts en sursis. 

samedi 7 janvier 2012

La lutte aux fausses allégations passe-t-elle par les profs ?

Calomnier n'est pas sans risque...
On apprenait ce 4 janvier que Carl Arian, un professeur qui enseignait les mathématiques au Centre d’éducation aux adultes 16-18 ans de St-Hubert, avait entamé des poursuites judiciaires contre deux enseignantes après avoir été la cible de fausses allégations de contacts sexuels avec des élèves.  Ce serait en représailles envers M Arian que Chantale Cayer et Agnès Cadieux auraient commencé à lui chercher querelle parce que l'homme avait été à l’origine du congédiement d’une collègue intriguante.

En mai dernier, après avoir souligné, dans une lettre à la direction, un prétendu « manque d’éthique professionnelle », les deux femmes ont transmis à la même instance un rapport d’événement, cité dans la poursuite déposée par Arian, précisant que ce dernier « aurait supposément eu, avec des élèves, des rapprochements et/ou des contacts affectifs inappropriés, soit des contacts de nature sexuelle et d’avoir eu d’autres comportements répréhensibles. »

La direction a déclenché immédiatement une enquête et rencontré les élèves en cause.  Contrairement à ce qui survient dans trop d’écoles ou de commissions scolaires, elle est toutefois demeurée ouverte, semble-t-il, à la perspective que les accusations soient fondées ou non.  Fin juin, la riposte envers les accusatrices s’était faite cinglante, dans une lettre leur signifiant qu’elles avaient « littéralement provoqué certaines dénonciations de certains élèves » ce qui allait totalement « à l’encontre de vos devoirs d’enseignantes (…) et du comportement attendu de la part des membres du personnel. »  Il était également précisé que « l’enquête a révélé que les dénonciations étaient soit non fondées, soit grossièrement exagérées (…) Une telle situation est tout simplement intolérable. »

Les fausses accusations sont
une forme de violence.
L’annonce de se voir victime d’accusations mensongères avait infligé un dur coup à Arian, qui avait dû recourir à un psychologue et à un médecin pour le soutenir pendant cette épreuve.  L’homme diffamé réclame donc à ses collègues plus de 67 000 $ en dédommagements, incluant pertes salariales, frais médicaux, atteinte à la réputation, troubles, stress, inconvénients et dommages punitifs.  Les parties se rencontreront au palais de justice de Longueuil ce 18 janvier.

Les conséquences de leurs actes

Les chances de Carl Arian de voir ses accusatrices sanctionnées sont peut-être meilleures que ce que pourrait laisser anticiper un fréquent parti pris judiciaire favorable aux femmes, dans pareille situation.  D’abord, les accusatrices, poursuivies au civil, ne se sont pas faites elles-mêmes passer pour les victimes, prétexte par lequel la Justice abandonne souvent les charges de méfait public, relevant du code criminel, ceci présumément en vue de « protéger les vraies victimes », selon l’expression consacrée.  Ensuite, l’enquête de l’école a fermement condamné l’imposture des deux femmes et leur manque d’éthique.  Écarter un pareil élément de preuve deviendrait embarassant, même pour notre magistrature.

Or s’il est officieusement admis, dans le milieu judiciaire et policier, que les accusatrices se faisant passer pour victimes se voient régulièrement exemptées d’accusations de méfait public - qui devraient pourtant les sanctionner éventuellement pour avoir provoqué une enquête sans fondement, selon le code criminel canadien - Mmes Cayer et Cadieux pourraient devoir ici rendre compte des actes reprochés.  Leur tentative alléguée d’atteinte à la réputation n’a pas été rapportée directement à la police, donc n’a pas davantage provoqué d’enquête policière injustifiée, mais aurait pu néanmoins entraîner des conséquences désastreuses sur la vie, la réputation et la carrière de la victime.  La pertinence de poursuivre au civil s'avère donc incontestable.

Une lueur à l’horizon

Cette fois, les policiers ne se
sont pas laissés berner...
Preuve que les plaignantes fabulatrices et calomniatrices échappent aux accusations de méfait public, le seul cas à avoir retenu l’attention médiatique ces dernières années demeure celui de l’accusatrice mythomane d’Éric Lapointe, qui écopa le 20 décembre 2004 d’une sentence de quatre mois avec sursis pour ce délit. 

Une situation récente, bien moins spectaculaire que cette saga qui avait remué l’opinion publique québécoise, pourrait indiquer un pas timide dans la bonne direction, quant à la reconnaissance et à la sanction des fausses accusations.  Deux adolescentes de Thetford Mines, âgées de 14 ans, se sont vues imposer une peine de 100 heures de travail communautaire, assortie d’un an de probation, pour avoir faussement accusé leur prof d’éducation physique, qui comptait plus de 20 ans d’expérience, d’agressions sexuelles.  Pour mince qu’ait été la sentence, elle confirme cependant que deux jeunes filles ont été reconnues coupables de méfait public, une rareté judiciaire en soi. 

Les adolescentes avaient porté plainte à la Sûreté municipale mais, confrontées à leurs mensonges par des policiers providentiellement compétents, avaient fini par avouer que leur histoire était inventée de toute pièce, d’où accusations et condamnation pour méfait public.  Elles étaient fâchées contre l’enseignant et voulaient se venger.  La commission scolaire des Appalaches (CSA) avait également sévi contre les menteuses.  Suspendues un certain temps, elles ont dû admettre publiquement leur méfait avant de se voir transférées dans une autre école où leur venue n’a pas dû susciter l’enthousiasme parmi le personnel enseignant…  Leur victime, ébranlée psychologiquement, est toujours en arrêt de travail.

Le MÉQ se penche sur la question…

Égide Royer, à la défense des profs.
Alors que l’État refuse obstinément depuis des années de se pencher sur la problématique des fausses accusations dans la sphère si sensible des agressions sexuelles et de la violence conjugale, le ministère de l’Éducation du Québec (MÉQ), devant la désertion des enseignants masculins, se voit contraint d’étudier la question, par le biais d’un comité sur la présence masculine en enseignement.  Fondé en janvier dernier, ce groupe a pour mandat d’élaborer des stratégies en vue de faciliter le recrutement d’hommes en enseignement.  Ses membres semblent avoir commencé à soupçonner que les fausses allégations constitueraient un obstacle à la présence masculine en milieu scolaire.

Égide Royer, professeur en enseignement à l’Université Laval, s’était ainsi exprimé sur la question, après avoir rencontré ledit comité : « Il y a un inconfort masculin, à travailler avec des jeunes enfants, lié aux fausses allégations.  Ça brise des vies. »  De son côté, Henri Fournier, lui-même ancien professeur d’éducation physique acquitté après avoir été accusé sans fondement par pas moins de 19 fillettes, propose que chaque plainte soit évaluée par un comité formé de la direction de l’école et de la commission scolaire avant de déclencher des procédures judiciaires.  

De son côté, Hubert Van Gijselghem, psychologue spécialisé dans l’évaluation de la crédibilité d’allégations d’abus sexuel en milieu scolaire, affiche un certain optimisme : « les écoles appellent maintenant les policiers plus rapidement.  C’est bien, car ils sont mieux préparés à ce type d’interrogatoire que les écoles et ne risquent pas de le contaminer. »  Souhaitons à ce spécialiste de ne pas trop présumer des ressources policières.

Du particulier au général ?

Nos institutions doivent protéger les victimes
de fausses allégations et punir les coupables.
En se penchant ainsi sur la problématique des fausses allégations, l’État québécois ne risque-t-il pas d’ouvrir une boîte de Pandore qui pourrait interpeller d’autres domaines que l’Éducation.  Après tout, une femme qui accuse faussement un ex-conjoint ou un collègue travaillant dans tout autre secteur d’activité ne mérite-t-elle pas d’être jugée avec la même sévérité que la jeune fille ou l’enseignante qui calomnie un éducateur masculin ?  Nos institutions ne doivent-elles pas à la victime considération, protection et justice ?  Il serait bien naïf, ou irresponsable, de continuer à faire comme si les fausses accusations n’étaient circonscrites qu’au milieu scolaire.

Certains regroupements ou organismes doivent commencer à ronger leurs bas à la perspective qu’un tel questionnement puisse faire boule de neige et bousculer les perceptions figées de l’État québécois.  Il serait à peu près temps que ce dernier enlève ses œillères imposées par ces nouveaux bien-pensants et agisse afin de contrer un phénomène consternant qui affecte non seulement le Québec, mais tout autant la plupart des pays occidentaux.  Des politiques, justes et lucides, préventives quant à la réputation des personnes accusées, et punitives envers les personnes qui accusent faussement, doivent succéder à celle de l’autruche.

mardi 3 janvier 2012

Double meurtre à Joliette : manque-t-il une accusée ?

À gauche, David Deraspe, et à droite, Marc-André Guérin-Bertrand, 
entourant Marc-André Casavant, providentiellement épargné.
Le 15 décembre dernier, la nouvelle tragique d’un incendie mortel faisant deux victimes au 267, rue Sainte-Anne, à Joliette, dans Lanaudière, défrayait la manchette.  À part le fait que les flammes s’étaient déclarées vers cinq heures du matin et que les corps inanimés de deux jeunes hommes dans la vingtaine avaient été découverts après une lutte de plusieurs heures menée par les pompiers de Joliette contre un violent brasier, on n’en savait pas davantage.  La suite des événements allait toutefois révéler une perspective pour le moins sordide.

Dès le lendemain, la Sûreté du Québec confirmait que des enquêteurs de la division des crimes contre la personne enquêtaient désormais sur un incendie criminel, mais ne pouvaient déterminer encore avec certitude si les deux victimes, David Deraspe, 24 ans, et Marc-André Guérin-Bertrand, 18 ans, étaient bien visés par de présumés incendiaires.  Les jours suivants ont vu se confirmer cette sinistre hypothèse.  Le 19 décembre, Maximilien Héon, 20 ans, et Danny Poirier-Laplante, 25 ans, de Sainte-Julienne, étaient formellement accusés de meurtre au premier et au second degré, respectivement.

Double triangle ?

Une banale histoire de rivalité amoureuse serait à l’origine de ce geste aussi meurtrier que stupide.  Héon aurait planifié l’incendie, sous l’empire d’une jalousie maladive à l’effet que sa flamme du moment ait manifesté le désir de revoir Guérin-Bertrand, l'une des deux victimes, avec qui elle avait déjà entretenu une relation amoureuse.  Deux jours avant l’incendie, la copine d’Héon avait proposé une rencontre à son ex, surpris sur les lieux par l’accusé principal, on ne sait trop dans quel concours de circonstances.  « Ça a mal tourné, ils se sont pognés.  Il (Héon) était fou de jalousie », devait affirmer avec émotion Marc-André Casavant, colocataire des deux victimes, qui ne doit qu’à une nuit passée chez sa copine d’être encore en vie. 

Jacques Deraspe, frère cadet de l’autre victime et quatrième colocataire, doit quant à lui à son travail de nuit d’avoir lui aussi échappé à l’incendie.  Dire que le jeune homme ne porte pas dans son cœur la copine de Héon est en-dessous de la vérité :  « Elle m’a dit : je vais vous faire sauter », affirme le jeune homme, qui compte intenter des poursuites judiciaires pour que la jeune femme soit accusée au même titre que les deux autres.  Deraspe affirme qu’elle était « au courant » du crime.   Aurait-elle donc pu l’empêcher en en informant les autorités ?

Un incendie qui cachait vraisemblablement une histoire sordide.
Casavant n’a guère été plus tendre envers celle qu’il n’a pas hésité à qualifier d’habile manipulatrice, mais dont il a préféré taire le nom.  « Elle aurait utilisé Maximilien Héon pour le (Guérin-Bertrand) rendre jaloux.  Elle essayait de lui jouer dans la tête » a-t-il affirmé aux médias après sa comparution au palais de justice de Joliette, lors de la mise en accusation des incendiaires présumés.  Soulignons que Marc-André Guérin-Bertrand était de son côté en relation avec une nouvelle copine, Vanessa Proulx, qui ne parvenait pas à s’expliquer pareille tragédie.  Qui sait si la jalousie n’habitait pas également l’ex de son amoureux, devant l’arrivée de la nouvelle élue de son coeur ? 

Il arrive parfois qu’un triangle en cache un autre et qu’une personne jalouse veuille rendre la monnaie de sa pièce à celui qui lui inspire un aussi inconfortable état d’âme.  Il demeure plausible que les amis et colocataires du défunt, étant donné la piètre estime dans laquelle ils tenaient l’ex de leur ami, aient été également visés par la vindicte de cette dernière, d’où les menaces rapportées par le jeune Deraspe.  Reste à savoir si pareille éventualité sera seulement envisagée lors du procès qui ne concerne que les deux seuls accusés.

Une responsabilité à partager

Comme ces derniers ne reviendront pas en cour avant le 17 janvier, il est encore trop tôt pour saisir tous les tenants et aboutissants de cette triste histoire.  Le fait que les deux accusés aient pu se voir manipulés par une intrigante ne les soustrait par ailleurs en rien à leurs responsabilités.  S’ils ont bel et bien commis les actes qu’on leur reproche, ils devront en payer le prix.  « Il n’y a aucune raison pour tuer quelqu’un, surtout pas pour une petite histoire d’amour.  C’est inacceptable et les accusés méritent la prison à vie », devait déclarer la mère de Guérin-Bertrand. 

L'émotion était à son comble parmi les proches des victimes.
Si la responsabilité supposée de Maximilien Héon semble jusqu’ici prédominante, celle de son complice demeure plus floue.  Comme l’affirmait son avocat, Me Michel Leclerc : « Selon la preuve, Héon aurait eu des propos de vengeance, mais mon client n’aurait été que le conducteur.  Sa participation est bien moins grande. »  La sœur de l’individu devait renchérir : « Mon frère n’était pas un meurtrier.  Il est gentil, mon frère.  Mais parfois nono. »

Si Marc-André Casavant et Jacques Deraspe, les deux locataires survivants, ont raison à propos de l’ex de leur ami et colocataire, il ne sera pas aisé de l’inculper, selon leurs souhaits.  A-t-on jamais vu une femme accusée, ou pire, reconnue criminellement responsable d’avoir rendu un conjoint jaloux au point de tuer un rival ? 

Si elle s’est montrée aussi machiavélique que le supposent Casavant et Deraspe, une question devrait pourtant préoccuper la Justice :  toute cette tragédie serait-elle survenue si cette jeune femme n’avait pas attisé l’hostilité de Maximilien Héon ?  Si cette hypothèse était fondée et prouvée, la manipulatrice devrait-elle répondre de ses actes ?  En vertu de quelle jurisprudence ?  Et quelle sentence devrait sanctionner pareil délit, dans l’improbable éventualité où il serait reconnu comme tel ?

Danny Poirier-Laplante, gentil, mais pas trop brillant, selon sa soeur...
Les choses pourraient en aller autrement pour elle s’il était prouvé que, au courant des projets criminels de Héon et de son complice, elle s’était abstenue d’aviser les autorités policières, permettant ainsi la perpétration d’un double meurtre. 

Une histoire à suivre, donc, ne serait-ce que par les enjeux propices à un débat de société sur la responsabilité criminelle…

Une première depuis 2009 : Blogger retire l'un de mes billets.

Pour des raisons indéfinissables, Blogger a retiré mon article intitulé À quand un prix Diane Lamarre ?   C'est la première fois depuis ...