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L'itinérance frappe d'abord et surtout les hommes. |
En fait, la dernière fois que j’ai lu un article sur l’itinérance selon le sexe, il révélait que de plus en plus de femmes se retrouvaient à la rue. Or, les hommes sont six fois plus nombreux que les femmes et les jeunes réunis (et n’oublions pas ces jeunes incluent le sexe masculin), mais il faudrait davantage s’en faire pour la gent féminine que masculine. L’itinérance demeure sans doute l’un des nombreux privilèges masculins de notre société soi-disant patriarcale.
Comme dans le cas de toute problématique masculine, les statistiques exactes et les études récentes sur l’itinérance envisagée comme un phénomène touchant une majorité d’hommes restent rares. Quelques-unes permettent cependant de se faire une idée de l’étendue du fléau. Selon le Canadian Council on Social Development, on dénombrait 250 000 itinérants au Canada en 1996. Quatre-vingt-cinq pour cent d’entre eux regroupait des hommes. Ce chiffre se voyait confirmé par l’Institut de la statistique du Québec, dans une enquête couvrant l’année 1998-99, avec des pourcentages variant de 83,5 à 89,1 %. Une étude de l’UQÀM, institution dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne fait pas de la condition masculine une priorité, stipulait dès 1991 que 94,7 % des itinérants vivant au centre-ville de Montréal étaient des hommes.
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Christine St-Pierre, une ministre à la condition féminine aussi incompétente que biaisée. |
Gageons que, à la suite de la commission gouvernementale de consultation factice sur l’égalité homme femme, tenue l’an dernier, et de la mise au point du concept d’analyse différenciée selon le sexe prônée dans le plus récent plan d’action gouvernemental mis de l’avant par le ministère de la Condition féminine, on n’entendra plus désormais parler d’itinérance qu’au féminin. Depuis belle lurette, cette problématique est traitée dans les médias en évitant soigneusement son aspect sexué, quand il s’agit des hommes, bien sûr.
Des contraventions aux itinérants !
Voilà sans doute pourquoi on continue à traiter nos itinérants comme des parias, des nuisances que l’on doit chasser de nos paliers, de nos parcs, même de nos trottoirs. Leur spectacle flétri et nauséabond risquant de nous donner mauvaise conscience sur le sort que nous réservons aux plus démunis, nous préférons perpétuer leur exclusion, jusqu’à ce que certains commettent l’irréparable, suicide ou agression sur des policiers qui les délivreront de leur triste sort d’une ou de plusieurs balles dans le corps. Ce genre d’agression de la part d’hommes en fin de parcours, à bout de ressources, n’est-ce pas une autre façon pour eux de mettre fin à leurs jours ?
Une enquête récente, intitulée La judiciarisation des personnes en situation d’itinérance à Montréal, nous apprenait, qu’au nombre des moyens coercitifs ayant pour but de chasser les itinérants de notre vue, les contraventions avaient la cote. Oui, vous avez bien lu. Les itinérants n’éprouvent sans doute pas assez de difficultés à survivre au froid, à la malnutrition, à la faiblesse généralisée qui en résulte, à l’insalubrité de leur condition, au mépris des gens « honnêtes », à la maladie mentale qui devient trop souvent leur lot. Il faut aussi les hypothéquer financièrement, eux qui sont sans le sou. C’est dans notre belle province, le Québec, si spontanément tournée vers l’humain, n’est-ce pas, que de telles pratiques ont droit de cité.
Non seulement notre gouvernement n’investit-il presque rien afin de venir en aide aux itinérants, mais il juge adéquat de leur extorquer de l’argent sous forme de contraventions. Voilà sans doute la recette pour les ramener à de bonnes habitudes de vie. Toujours selon la même enquête, la judiciarisation, car c’est bien de cela dont on parle, représente 16 M $ en contraventions impayées depuis 1994 et 31 000 constats entre 2006 et 2010. La répartition des infractions se ventile comme suit : 32 % pour ébriété publique, 30 % pour consommation d’alcool, 33 % pour passages impayés.
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Des agents du SPVM, dans l'exercice de leurs fonctions. |
Richard Godfroy, 36 ans, un ex-itinérant qui ne possède son propre appartement que depuis un an et demi, voit ses chances de vivre une vie normale assombries par un montant de 55 000 $ en contraventions impayées accumulées en neuf ans de vie dans les rues. Son cas, relaté dans Le Journal de Montréal, n’est pas unique, on s’en doute. Une intervenante sociale a relaté au même média celui d’un homme qui devait jusqu’à 90 000 $.
La trop grande nonchalance avec laquelle les policiers distribuent des constats d’infraction ferait partie du problème, selon Pierre Gaudreau, coordonnateur au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, qui ajoute que la Ville de Montréal, également, est à blâmer. Pourtant, le maire Tremblay, apprenant les conclusions de l’enquête, n’hésitait pas à déplorer de son côté le recours à un tel moyen de coercition, s'en prenant à Québec pour le manque de ressources préventives. Son point de vue rejoint cependant celui de Gaudreau, pour qui l’embauche de travailleurs sociaux dévolus aux itinérants, la construction de logements sociaux et l’application d’une politique existante, mais négligée, sur l’itinérance demeurent les pistes à privilégier.
Pire que les constats d’infraction…
C’est le même Pierre Gaudreau qui déplorait déjà en janvier dernier le manque de ressources pour les sans-abris alors que l’un d’eux, Farshad Mohammadi, venait de tomber sous les balles d’un agent du Service de police de Montréal (SPVM). L’homme de 34 ans, connu depuis deux ans des refuges de la ville, s’en était pris à un policier à l’arme blanche, le blessant à la tête et au thorax. Atteint à son tour grièvement par les balles d’un autre policier, l’homme devait succomber à ses blessures. En juin dernier, un cas similaire, celui de Mario Hamel, avait mené à la même tragique conclusion, avec en prime la mort d’un passant, Patrick Limoges, abattu lui aussi par les projectiles de policiers.
Le plan interministériel en itinérance 2010-2013 n’a de toute évidence pas donné les résultats escomptés. L’itinérance connaît un essor sans précédent, et ses problématiques se complexifient, sans compter un réel accroissement du nombre d’itinérantes, toujours très minoritaires, cependant. La désinstitutionalisation, mesure gouvernementale dont l’échec se perpétue aussi bien dans la rue que dans les hôpitaux, malgré tout un moindre mal, est de plus en plus pointée du doigt comme l’une des causes de cette problématique, non sans raison.
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Pierre Gaudreau |
Pierre Gaudreau reconnaissait dans Le Devoir certains progrès accomplis par le SPVM dans la mise sur pied d’une équipe mixte composée de policiers et de travailleurs sociaux du CLSC des Faubourgs. Une meilleure formation dispensée aux agents en ce qui a trait aux enjeux liés à l’itinérance et à la maladie mentale ainsi qu’un accroissement du rayon d’intervention à l’île de Montréal de la part de l’équipe Urgence psychosociale-Justice, du CSS Jeanne-Mance, représentent également, selon lui, des pas dans la bonne direction.
Les dangers de l’analyse différenciée…
La relative nouveauté d’une « clientèle » féminine pourrait avoir un impact pernicieux sur le développement des ressources consacrées à l’itinérance. D’emblée, on pourrait bien concevoir que le peu « d’avantages » consentis aux hommes, notamment les refuges, plus nombreux, constituent des « luxes » dont leurs consoeurs ne disposent pas. Il y a fort à parier que l’avenir des ressources en itinérance privilégie les femmes, comme les politiques de discrimination positive en Éducation, celles régissant l’embauche dans la fonction publique et les conseils d’administration des sociétés d’État, le droit familial ainsi que la prestation des soins de santé et des services sociaux, onze fois plus financés pour les femmes que les hommes.
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L'itinérance préoccupe notre premier ministre, d'après vous ? |
Seule la multiplication malheureuse d’incidents tragiques impliquant des hommes, par leur impact médiatique sur le public, davantage que sur la conscience des décideurs, pourra infléchir cette tendance probable. Faudra-t-il que notre gouvernement attende passivement d’autres morts évitables avant de comprendre ce qu’il sait déjà ?