Le téléphone sonne et je ne décrocherai
pas. C’est ainsi depuis dimanche, jour
qui sonne le glas de mes maigres deux semaines de vacances estivales. Il m’en aurait fallu le double pour récupérer
de mon travail de bête. C’est avec un
malaise rarement vécu dans mon cheminement professionnel que j’essaie
d’envisager positivement mon retour au travail sur appel. Je n’y arrive pas.
Le CHRTR |
Et
pire encore, j’en constate les impacts sur les patients.
Je travaille
au CHRTR comme agent de service privé.
En quoi consiste ce poste ? Je
suis un agent de sécurité en civil chargé de veiller sur les patients
psychiatrisés. Vieillissement de la
population « aidant », ce sont surtout des personnes âgées atteintes de
démence, Alzheimer, frontale ou autre, qui constituent l’essentiel de ma «
clientèle ». Confusion, agressivité allant
parfois jusqu’à la violence, risques de chute et de fugue constituent autant de
problématiques à gérer au quotidien, dans une environnement peu réceptif par
moment aux difficultés et contraintes qu’implique ce métier pour le moins
ingrat.
Quand
je parle d’environnement peu réceptif, je ne fais nullement allusion aux
infirmières et préposées avec lesquelles je travaille et qui m’apportent la
plupart du temps le soutien qui m’est nécessaire, dans la mesure de leurs
disponibilités, en vue de gérer des situations parfois répétitives ou
potentiellement explosives. À l’occasion, l’explosion survient, et des agents
en uniformes doivent monter aux chambres, ou descendre à l’urgence
psychiatrique, pour prêter main forte à un agent aux prises avec un ou des patients
incontrôlables.
Le
problème sur le terrain, ce n'est pas un mystère, résulte de priorités étatiques où la bureaucratie s’est
développée plus vite et au détriment des ressources de première ligne dans un
contexte de coupures draconiennes.
De mal en pis…
Pendant
trois ans, plusieurs collègues et moi avions la chance d’occuper des postes à
temps plein et, par conséquent, de disposer d’horaires de travail. À tort et à raison, la direction du CHRTR a
jugé qu’il y avait trop de services privés, et qu’il fallait en réduire le nombre. Comme un extrême en entraine généralement un
autre, on est passé de trop de services privés à pas assez. C’était suffisant pour que nous retombions
sur appel, moi malgré mes 14 ans d’ancienneté, comme à mes débuts. Ne nous reste plus qu'à vivre
en fonction du prochain coup de fil, incapables de planifier vie familiale,
rendez-vous et déplacements (Ma blonde habite à deux heures de route de
Trois-Rivières.).
Comme
si ce n’était pas suffisant, nous pouvons voir nos quarts de travail
interrompus à tout moment, si le personnel, à qui on demande de couper le plus possible, juge que le patient n’a plus besoin
de surveillance. Or, souvent, ce qui
calme un patient, c’est l’agent. Il
n’est pas rare qu’une fois celui-ci parti, le patient redevienne ingérable et
qu’on doive appeler un nouvel agent. Entretemps,
un employé a perdu un quart de travail et sa semaine n’en finit plus de finir.
Les premiers pénalisés : les patients
et le personnel
L'urgence du CHRTR |
Infirmières
et préposées sont plus exposées que jamais à la violence et doivent parfois
marcher sur des œufs pour éviter les coups.
Les familles sont souvent déconcertées devant le manque de soutien
sécuritaire qui affecte leur parent hospitalisé.
Un contexte toxique
Travailler
dans un tel contexte, aussi toxique, où conditions de travail des employés et
conditions d’hébergement des patients, si étroitement inter reliées, vont en se
dégradant, n’a rien de réjouissant. Il
est très difficile d’envisager à moyen ou même à long terme une amélioration
d’une situation aussi biodégradable. Et
le moral des troupes n’est pas à la hausse, pour dire le moins…
Le
téléphone sonnera bientôt dans une heure, deux, ou dans une minute, ou pas du
tout. S’il sonne, vais-je décrocher ? Ou vais-je décrocher… de ce poste, et de ce
contexte si peu… hospitalier ? Je me donne un moment de réflexion.
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