Qu'est-ce qui amène des femmes à la prostitution, et à quoi la prostitution les amène-t-elle ? Voilà le propos de ce Rétrolivier, paru dans Le Journal de Montréal du 4 septembre 2008, sous le titre Des prostituées laissées pour compte, et dans Le Soleil du 8 septembre 2008, sous son titre original.
Quiconque traverse ou vit dans le quartier Sainte-Cécile, à Trois-Rivières, finit par en croiser. Elles marchent nonchalamment, au coin d’une rue, ou s’installent dans l’escalier d’un bloc appartements, comme si elles attendaient l’autobus. Seulement voilà, il n’y a pas d’arrêt. Peut-être un chum, une copine viendra les chercher ? Pas davantage. Elles pourront poiroter au même endroit encore une heure, ou plus. Aucune voiture ne s’arrêtera. Aucun occupant ne les saluera, ni n’ouvrira de portière. Puis ça arrivera.
Qu’elles aient vingt, trente ou quarante ans, elles en affichent souvent cinquante, même jolies, affadies par un teint terreux, une démarche incertaine, un vêtement fatigué. Depuis longtemps, sociologues et intervenants sociaux ont localisé les racines de leur état. Pauvreté, toxicomanie, malnutrition, maladies infectieuses, estime de soi défaillante, enfance gâchée, violence familiale, conjugale, faible scolarité, problèmes psychiatriques. Toutes les causes de leur condition ont été inventoriées. On prétend qu’un problème bien posé est à demi résolu. L’autre moitié tarde à suivre. Normal, quand ledit problème reste l’un des plus anciens de l’humanité.
Il y a quelques années, TQS Mauricie avait réalisé un reportage sur la prostitution dans les premiers quartiers trifluviens. Une journaliste et une agente de la sécurité publique de Trois-Rivières avaient fait les cent pas, rue Sainte-Geneviève. De nombreux véhicules avaient ralenti en les voyant, donnant l’impression que le voisinage abritait un perpétuel cirque libidineux. Un détail faussait cependant les données : les deux agentes doubles étaient jeunes, saines et élégantes. Téléphone arabe aidant, leur arrivée aura fait sensation, tant le contraste d’avec les « habituelles » a dû surprendre.
Ces dernières en sont souvent réduites à traîner leur ennui, parfois à esquisser un vague sourire, un geste évocateur, adressé aux automobilistes. Les plus hardies en interpelleront. Plus rarement, l’une d’elles marchera, décidée, en plein milieu d’une rue, le pas rapide, saccadé, la mâchoire crispée, le regard durci, glacé, comme quelqu’un qui n’a plus rien à perdre, ayant abdiqué prise en charge, respect de soi et confiance en la vie. Toutes ces silhouettes, fantômes d’elles-mêmes, offrent un spectacle aussi silencieux que triste, elles qui attendent la prochaine dose, le prochain drink, le prochain client.
Dans une société où la Charte des droits et libertés protège jusqu’aux criminels, elles sont laissées pour compte, cibles commodes d’un mépris distrait, comme si leur mal de vivre même donnait la pleine mesure de notre respectabilité. On a vite oublié notre chance, un milieu familial décent, des parents qui donnaient l’exemple, prêchaient des valeurs, démontraient leur amour. Facile de clamer haut et fort qu’on a toujours le choix. C’est vrai, mais choisir est plus dur pour qui n’a pas eu un bon départ dans la vie.
Le débat fait toujours rage autour de la légalisation de la prostitution. Encadrement plus sécuritaire, prétendent ses défenseurs, oppression érigée en système, répondent ses détracteurs. Une question subsiste. Est-il souhaitable que des femmes choisissent pareil métier ? Déroutant, le projet de société compatible avec un tel plan de carrière.
1er septembre 2008.
4 commentaires:
Bonjour Olivier,
il faut légaliser ce "métier", parce que il y auras toujours! En Allemagne c'est fait depuis long temps. Ca c'était faite par l'initiative d'une femme du métier, très respecté a Hambourg. Pour les femmes c'est la sécurité avant tout. Elles payent des taxes et elles sont assuré coté médicale. Je pense pour la socièté c'est important qu'elles existent! Ca m'as vachement étonné qu'en France la prostitution est illegale.
Salut
Jutta
Malgré le discours alarmiste des féministes d'État, je pense aussi que la légalisation de la prostitution demeure l'avenue le plus "saine" devant les risques considérables que sa criminalisation implique.
J'ai été longtemps du même avis que vous sur la légalisation, mais après en avoir fréquanté quelques unes... Je peux dire que plusieurs d'entres elle ne savent pas ce que veux dire le mot "dignité".
Je suis maintenant d'avis que toutes les femmes devraient avoir la chance d'être fier d'elle en accomplissant un travail valorisant ou en s'occupant des enfants à la maison si elles le désirent...
Elles ont besoins d'amour.
Manuel
La légalisation de la prostitution ne devrait jamais exclure l'alternative que vous présentez, et que je trouve personnellement infiniment préférable à l'exercice du plus vieux métier du monde.
Je crois néanmoins que ce choix de "profession" doit être respecté, avec possibilité de "réorientation", et ne devrait en aucun cas rester criminalisé. Une telle attitude sociétale ajoute à la détresse vécue par un grand nombre de prostituées et de prostitués.
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