Tu étais hémophile, Claude, et tu avais décidé de ne plus prendre tes médicaments contre l’épilepsie. Tu venais d’être nommé entraîneur pour une petite équipe paroissiale de baseball, ta passion de toujours. Enfin, quelqu’un croyait en ton potentiel, te faisait confiance. Tu as cru, quelques jours seulement, que tout était possible, que tu ne serais jamais plus un toquart, comme on te l’avait si souvent signifié pendant ta trop brève, mais sûrement interminable existence de vingt ans.
Si t’en as bavé, vieux Claude, à faire rire de toi au Jardin de l’Enfance, où l’on s’est connu en première année. Si t’en as essuyé des insultes, des quolibets, des réflexions dégradantes, de la part des garçons de l’école, bien sûr, mais aussi de certaines religieuses, enseignantes ou surveillantes, qui se plaisaient à jeter de l’huile sur le feu, quand elles auraient dû te défendre. Normal, gaucher et épileptique, tu ne pouvais qu’être suppôt de Satan, aux yeux de ces filles de Jésus. De quoi remplir d’une fierté légitime le père d’une telle progéniture…
Même une fois déplacé dans une autre école, l’année suivante, puis ensuite au secondaire, le harcèlement n’a jamais cessé, en classe, dans la cour de récréation, dans l’autobus scolaire. Inapte au travail, tu as enfin connu un semblant de paix en devenant prestataire de la sécurité du revenu. Ça n’a jamais été toi qui ne voulait pas d’un travail, à ta mesure, bien sûr, mais que tu aurais pu accomplir. Ce n’est pas toi non plus, qui a boudé la société, malgré sa dureté. C’est simplement elle qui se fichait de toi. Jusqu’à la fin.
Une fois tombé, dans ta salle de bain, tu t’es débattu, tandis que le sang commençait à s’échapper de ton corps. La voisine du dessous t’a entendu. Elle n’a pas levé le petit doigt pour te venir en aide, n’est pas montée pour voir ce qui se passait, n’a pas davantage appelé la police. Pour elle, tu n’étais qu’un weirdo, un paumé, un « BS » dont les faits et gestes, comme l’existence même d’ailleurs, ne représentaient aucun intérêt. Tu pouvais bien crever, et c’est ce que tu as fait, mon Claude, dans la même indifférence qui a été ton lot de ton vivant. C’est pas l’épilepsie qui t’a tué.
Nos mères travaillaient comme surveillantes de nuit au pavillon Dagenais. C’est là qu’elles sont devenues amies et que nous nous sommes retrouvés, dix ans après notre première année. Je commençais mon cours collégial et toi… je ne me souviens plus. Je n’ai jamais eu de petit frère, Claude, mais je n’en avais pas besoin, puisque je t’avais. Combien de fois n’es-tu pas venu à la maison, souper ou dîner, t’excusant toujours de déranger, presque d’être en vie, même si je te chicanais de le faire ? Nos parties de pool, nos tentatives infructueuses de tirer un son décent de la vieille guitare désaccordée que tu nous avais ramenée un jour, nos soirées à discuter en écoutant de la musique dans le salon familial ou dans ton apart, que de souvenirs anecdotiques qui faisaient le quotidien d’alors…
Où que tu sois maintenant, dors bien, petit frère. Ce monde est bien trop cruel pour toi. Et toi, tu es beaucoup trop bien pour lui…
2 commentaires:
Un profond témoignage ... Moi même épileptique , et présidente d'association pour personne épileptique en France ,je suis confrontée souvent à la disparition de nos adhérents, des personnes qui sont devenues au fil du temps des parents.
Le plus triste, dans tout ça, c'est d'entendre des gens dire : "mieux vaut qu'il ou elle soit mort-e, ce monde est trop inhospitalier". Dans quelle société vivons-nous, quand la mort des déshérités devient préférable aux obstacles du quotidien ? Si seulement ils étaient trop exigeants... Même pas, ils ne demandent le plus souvent qu'une toute petite place au soleil... mais c'est déjà trop pour ce que notre société a à leur offrir, semble-t-il.
Merci de votre témoignage, Laila, bon courage pour vous et vos adhérents.
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