L’avènement, depuis plus d’un an, du Tea Party, ce mouvement radical d’opposition aux politiques de Barack Obama, indique à coup sûr un nouveau tournant dans le psychodrame que n’a jamais cessé d’être la politique étasunienne. Le 19 février 2009, Rick Santelli, journaliste économique à CNBC, devait piquer en direct une sainte colère contre les mesures de soutien financier préconisées par Washington afin de secourir les Américains sur le point de perdre leur maison, des «loosers, selon lui, qui ont installé une nouvelle salle de bain et qui sont dans l’incapacité de rembourser leur dette ». Aucune allusion ici à une crise hypothécaire, ni aux taux d’intérêt inflationnistes qui en ont découlé, bien sûr.
Dans la même foulée, Santelli annonçait la tenue d’un Tea Party à Chicago, référence à un événement historique survenu à Boston en 1773, alors que des coloniaux américains, révoltés contre la taxation du thé par le Parlement britannique, s’emparèrent de vaisseaux commerciaux anglais et déversèrent le contenu de centaines de coffres de thé dans le port. C’est par analogie avec cet événement que s’est cristallisée l’opposition contre le plan de relance économique des démocrates, puis contre leur réforme de la santé, afin que le contribuable, célébré en tant qu’individu, n’ait pas à défrayer de facture collective. On aura beau prétendre qu’il s’agit d’un mouvement spontané, le Tea Party bénéficie d’un soutien important d’associations conservatrices et d’une couverture médiatique soutenue de Fox, d’allégeance républicaine bien connue.
En sonnant le glas de la super majorité démocrate, l’élection du républicain Scott Brown, au siège laissé vacant par Ted Kennedy au sénat du Massachusetts, a constitué la première victoire du mouvement. Bien mal lui en prit : non seulement la réforme de la santé est passée malgré tout, mais Brown devait jouer un rôle déterminant dans le passage au Sénat de la réforme financière, qui prévoit notamment la mise sur pied d’un organisme de protection du consommateur financier, au sein de la banque centrale. Pourquoi s’en faire, puisqu’on protège l’individu ?...
On serait en droit de croire qu’une organisation en pleine ascension se chercherait des leaders crédibles. Aussi peut-on légitimement s’étonner devant les acclamations « Palin, présidente », scandées par 20 000 fervents supporters, le 14 avril dernier. Cette marathonienne surmédiatisée de la répartie autodestructrice aurait reçu 100 000 $ pour le discours prononcé à cette occasion. Il y a pire (oui, c’est possible) : Rand Paul, star montante du Party, après avoir défait le candidat républicain en vue du siège de sénateur du Kentucky, n’a rien trouvé de mieux à faire, pour célébrer l’événement, que de répéter sur toutes les tribunes que la loi de 1964, sur l’égalité des droits civiques, était trop large, qu’ Obama était un « non-Américain » (« un-American »), avant d’approuver qu’une entreprise privée devrait avoir le droit de refuser un client noir…
Anti-démocrate, le Tea Party demeure critique envers le parti républicain, trop mou à son goût. Il souhaite le radicaliser en lui opposant des candidats qui incarnent davantage ses valeurs. Généralisée, une telle tactique pourrait fort bien avoir pour effet de diviser le vote au profit des démocrates, lors des élections de mi-mandat. Il n’est pas jusqu’à John McCain, candidat défait à la présidentielle, qui pourrait ne jamais remplir son cinquième mandat en tant que sénateur de l’Arizona, devant la menace du candidat ultraconservateur du Party, J D Hayworth. Grâce aux maladresses stratégiques du Tea Party, comme de leurs figures de proue, le deuxième mandat hypothétique d’Obama en 2012 pourrait bien devenir réalité. Dans le bureau ovale, la garde rapprochée du président peut souhaiter longue vie au mouvement, à Sarah Palin et à Rand Paul…
Également paru dans Le Soleil du 5 juin 2010 et dans Le Nouvelliste du 7 juin 2010.
Paru dans Watching America, sous le titre The Tea Party : Back Up ! (traduction : Hodna Nuernberg), le 5 juin 2010.
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