Mon fils, Jérémie, et moi. |
« Maman, qui est Dieu ? » questionnais-je un matin, avec la candeur de mes huit ans. Les yeux émerveillés, ma mère se lança dans une envolée lyrique dont elle avait le secret en évoquant un grand gendarme qui dirigeait les planètes, les satellites et les avions. Peu convaincu par cette réponse surréaliste, je résolus de m’adresser à celui qui m’avait toujours donné des explications plausibles.
À la décharge de ma mère, il faut reconnaître que mon père disposait d’un avantage certain, avec une expérience d’enseignant d’une vingtaine d’années. Il avait déjà fait la classe à des enfants et savait combien ce public est impitoyable envers ce qui lui semble irréaliste. Pour avoir été moi-même brièvement prof de français en Louisiane, j’avais constaté avec quelle vigueur la moindre dérogation à la vraisemblance pouvait nous être reprochée. Mon père m’a toujours répondu franchement à des questions que plusieurs auraient esquivées. « Papa, as-tu déjà pleuré ? As-tu déjà eu peur ? » « Oui, mon garçon, j’ai déjà pleuré, et seuls les idiots n’ont jamais peur. » m’avait-il répondu.
Mon père, José Kaestlé. |
Avec son menton proéminent, des arcades sourcilières tombantes abritant un regard scrutateur, doté d’une stature trapue et d’une démarche qui évoquait irrésistiblement un bulldozer tranquille et imposant, mon père avançait dans la vie avec calme, circonspection et compétence. Un sourire franc, chaleureux et espiègle balayait soudainement cette allure générale, autrement austère.
Homme de principe, il tâchait le mieux possible de s’en tenir aux préceptes de vie et aux objectifs qu’il s’était fixés. Lors des grèves qui perturbaient périodiquement les cégeps dans les années 70, mon père était le seul professeur, à Trois-Rivières, qui continuait à donner ses cours, par souci des étudiants. Chatouillé par son individualisme, le syndicat des profs décida de l’associer à ses revendications en lui offrant le poste de président. Il accepta poliment. Il n’y eu aucune grève sous son règne.
Sociable, quand ça lui tentait, avec quelques amis avec qui il discutait avec une ferveur insoupçonnée, mon paternel était d’abord et avant tout un homme de famille. Encore aujourd’hui, je m’étonne de la disponibilité et de la patience inconditionnelles qu’il démontrait envers ma sœur et moi, en dépit de nos sautes d’humeur enfantines, puis adolescentes, et de nos tempéraments entiers.
Nous avions de qui tenir, question détermination, puisque cet homme si solide, sitôt marié, devait en principe périr à 27 ans d’une péritonite. Une patiente vint occuper une chambre d’hôpital voisine, une journée, pour une chirurgie mineure. Le lendemain, la dame était morte et mon père, toujours vivant. Il est décédé à 78 ans.
La naissance de mon fils a été son dernier rêve; il est parti aussitôt après l’avoir vu. En l’espace de quatre semaines, j’étais subitement passé du statut de fiston à celui de papa. Quel sentiment étrange de me retrouver un mois plus tard, célébré à la fête des pères. Quand je me demande depuis comment rester calme devant l’impétuosité de ma progéniture, j’en viens presque à me dire : « Tiens, Papa saurait ça, lui. »
10 juin 2007
Ce Rétrolivier est paru dans Cyberpresse du 11 juin 2007, Le Nouvelliste, édition week-end du 16-17 juin 2007, avec la photo en amorce, et dans Le Soleil du 17 juin 2007.
8 commentaires:
L'ado fini par dire: J'en sais autant que mon père
Il finit même par dire: Papa ne sait rien.
Et vers 30 ans: Papa sait quand même des choses.
Et lorsque Papa est mort: Ah! Si nous pouvions le demander à papa, il saurait lui...
serge
Bien vrai, tout ça, Serge. ;-)
Les hommes et des pères sont désormais uniquement jugés sur leur capacité et leur volonté de s'occuper des tâches ménagères.
Oui, il semblerait que ce soit devenu LE critère, après, bien sûr, celui de pourvoyeur, toujours aussi populaire.
Très émouvant, cher collègue. Beau billet.
Merci, cher collègue ! ;-)
Émouvant Olivier
Pierre Turbide
Merci, Pierre. ;-)
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