Imaginez
la scène, lors d’un évènement de presse.
Des politiciens circulent au milieu d’une meute de journalistes. Tout à coup, l’un des élus se tourne vers un
journaliste qu’il n’aime pas particulièrement, lui fait une accolade non
sollicitée, lui passe la main dans les cheveux et lui clame : « Je te
regardais à la télé la semaine passée, pis t’as grossi, toi. T’as engraissé.
Guy Julien, provocateur... |
Certains, parmi les témoins de ce geste
certes déplacé, inusité, mais pas criminel, éclatent de rire. D’autres sourient ironiquement ou haussent
les épaules. Quelques-uns se montrent
vaguement choqués ou gênés. Puis la vie
continue…
Il
peut apparemment en aller tout autrement quand une telle plaisanterie, il est
vrai, fort peu subtile, s’adresse à une femme journaliste. La nouvelle peut faire la une du quotidien
régional et susciter l’ire de la Fédération professionnelle des journalistes du
Québec, rien de moins.
Deux poids, deux
mesures ? Bien sûr, mon exemple mettant
en cause un journaliste masculin est hypothétique, mais pas irréaliste, tout
comme le silence médiatique et sociétal qui s’ensuivrait fort
probablement.
Alors
voici ma question : serait-il normal que l’on passe sous silence
l’incident, s’il impliquait un journaliste, et qu’on en fasse une nouvelle, quand
il implique une journaliste ?
Un ex-ministre « indigné »…
Si
je pose cette question, c’est que la mise en scène qui débute mon billet est
bel est bien devenue réalité le 27 aout dernier lors d’un évènement de presse,
et a eu pour cible une
journaliste trifluvienne « victime » d’une « agression physique », affirme la
FPJQ, et pour auteur l’ancien ministre
péquiste Guy Julien (aucun lien de parenté).
Ce dernier n’aurait pas digéré les
reportages de la journaliste à propos d’un litige l’impliquant, lui et l’ancien
ministre libéral Yvon Picotte, quant à la rémunération qui leur a été accordée
à titre d’administrateurs du groupe RCM, un centre mauricien de tri et de
récupération des déchets.
Le Nouvelliste relate ainsi les faits allégués : «
Après avoir affirmé à la journaliste que cette histoire était «une des pires
affaires de salissage de ma vie», Guy Julien lui aurait fait une accolade, non
sollicitée et non réciproque, en lui flattant les cheveux. Il aurait par la
suite dit à la journaliste: «Je te regardais à la télé la semaine passée, pis
t'as grossi toi. T'as engraissé.»
Suivant cette déclaration, M. Julien se
serait vanté de ses agissements au président du conseil d'administration du
Groupe RCM, Yvon Picotte. » Résultat : Yvon Picotte est lui aussi impliqué, puisque des
éclats de rire des deux hommes auraient été enregistrés à la suite des
confidences de Guy Julien, captées par un micro de Radio-Canada laissé
malencontreusement ouvert.
Suffit
parfois de pas grand chose…
Peut-on vraiment parler «
d’agression physique » ?
Yvon Picotte, trop rieur ? |
«Par voie de communiqué, la FPJQ souligne que
«cette tentative d'intimider une journaliste en tentant de la déstabiliser avec
des remarques sur son apparence physique est carrément inacceptable, d'autant
plus qu'en tant que gestionnaire d'un organisme et ex-ministre, les deux hommes
sont familiers avec le milieu médiatique.»
«Ce qui nous a interpellés, c'est la forme d'agression
physique que la journaliste a subie. L'intimidation, on en a un peu partout
dans le cadre de notre métier, mais c'est vraiment cette forme de proximité-là
qu'on jugeait déplacée», note la présidente de la FPJQ
Mauricie/Centre-du-Québec, Charel Traversy. »
Cette forme de proximité… envers
une femme seulement ? Quand Mme Traversy
parle d’agression physique, fait-elle référence aux commentaires de Guy Julien
sur l’apparence de la journaliste ? À
l’accolade non sollicitée et à la main passée dans ses cheveux ? À ces deux incidents ? Impossible de faire un lien clair et précis entre cette
déclaration et le communiqué de la FPJQ.
Si le commentaire de Julien
relève de la plus évidente balourdise, le geste de donner une accolade non
voulue et de passer la main dans les cheveux d’une femme sans son consentement
tient résolument du geste déplacé et mérite certainement d’être blâmé. Mais peut-on pour autant parler d’agression
physique, au sens du code criminel canadien ?
Un
rire incriminant…
Et Yvon Picotte, devrait-il se
voir attribuer le même degré de responsabilité que son collègue alors qu’il ne
s’est même pas adressé à la journaliste et qu’il s’est contenté de rire aux
confidences de Guy Julien ?
Le
communiqué de la FPJQ est sans équivoque : «La FPJQ, section
Mauricie/ Centre-du-Québec, dénonce le comportement de deux administrateurs du
Groupe RCM, un organisme de recyclage de déchets domestiques et industriels.
»
Suit
l’acte d’accusation concernant Picotte : «On entend Yvon
Picotte dire : «C’est elle qui nous a beurrés?» et Guy Julien de répondre :
«Oui. Je lui ai dit qu’elle avait engraissé. Elle était en tabarnak.» Après
quoi les deux hommes rigolent. » Rappelons
que cette conversation ne se voulait nullement publique…
Que
l’on blâme le geste physique de Guy Julien, je veux bien. De là à parler d’agression physique,
oubliez-moi. Quant aux propos adressés à
la journaliste, je ne vois pas en quoi l’ancien ministre n’aurait pas le droit
d’exprimer sa désapprobation envers ses articles, ni en quoi son commentaire
sur le physique de la journaliste, si peu subtil soit-il, mériterait un tel
retentissement médiatique.
Adressés à un
homme, les mêmes propos laisseraient indifférents.
Marie-Claude Julien, victime d'agression physique ? |
Quant
aux accusations visant Yvon Picotte alors qu’il n’a même pas interpelé la journaliste
et se croyait « off the record », elles sont tout à fait grotesques.
Je laisse d’ailleurs à ce propos à l’ex
ministre, qui a tout de même présenté des excuses de convenance, le mot de la
fin : « Si je n'ai pas le droit de rire dans une conférence de presse, on
me le dira (…) si y'en a
qui ont les épaules frileuses, ils ont le droit de les avoir, mais moi je ne
suis pas frileux à ce point-là.» Et toc
!
5 commentaires:
Excellent texte Olivier, encore un fois. J'apprécie toujours de te lire. Par contre, je ne veux pas jeter de l'huile sur le feu, mais un jour, un policier m'a dit que de simplement lancer un verre d'eau au visage de quelqu'un est un acte criminel et que des accusations de "voie de fait simple" peuvent être portées. En fait, de toucher une personne volontairement et contre sa volonté, c'est un acte criminel semble-t-il. À partir de là, il faut déterminer "l'intention criminelle"... c'est cette intention qui détermine s'il y a acte criminel ou non. J'en sais quelque chose, car la mère dont tu connais l'histoire, n'avait supposément pas "d'intention criminelle", c'est pour ça qu'elle a passé les mailles du filet... c'était une pôvre victime.
"Passer ses mains dans ses cheveux sans son consentement"
Un scrum dans le genre : Mme Chose, puis-je avoir votre permission pour passer ma main dans vos cheveux ? Des heures de fou rires.
Il me semble que ces journalistes frileuses ont toutes été à l'école de Christine St-pierre pour qui "un regard insistant" était une agression sexuelle. Exagération comme dans les 300 000 femmes battues.
Suzanne, le simple fait d'éternuer devant quelqu'un sera sanctionné si l'on arrive à soupçonner une intention hostile...
@ Anonyme Loin d'aider les femmes journalistes, l'attitude paternaliste de la FPJQ les fait passer pour de petites frappes sans caractère. Je trouve tout de même déplacé le geste physique de Guy Julien, mais de là à parler d'agression, il me semble que la marche est haute...
Tu as raison Olivier et ce qui est malheureux, c'est que cette possibilité ouvre la porte à toutes sortes de poursuites saugrenues, coûteuses et inutiles. L'art de copier le modèle américain... Disons que ce geste de M. Julien n'était pas approprié, je suis d'accord, mais comme tu le dis si bien, entre une effronterie pas de classe et une agression, il y a une grande marge.
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