La page laminée que m'avait envoyée La Presse en 2006 pour la lettre de la semaine intitulée Les amis de Popeye. Après 13 mois de refus obstiné de la part de ce journal de publier mes textes, je la lui ai gracieusement retournée, accompagnée d'une lettre d'explication[1] et de mon assurance d'oublier pour toujours ce quotidien...
Mon insatisfaction envers l’accessibilité aux tribunes d’opinion ne devait pas s’arrêter avec la décision de Cyberpresse de ne diffuser que les textes de notables au détriment de ceux des citoyens dits ordinaires[2]. Jusqu’à l’automne 2008, Mes topos étaient publiés sporadiquement dans La Presse, les fins de semaine, à la rubrique À votre tour, consacrée aux textes plus recherchés ou « littéraires » de la tribune d’opinion de ce quotidien. En deux ans, j’avais obtenu 13 parutions, dont une lettre de la semaine pour Les amis de Popeye, un texte sur la violence enfantine.
Je commis en septembre 2008 l’indélicatesse d’envoyer un article sur la prostitution dans le quartier Sainte-Cécile (à Trois-Rivières) au délinquant Journal de Montréal, en plus de mes destinataires habituels, soit bien sûr La Presse, Cyberpresse, Le Soleil et Le Nouvelliste. Dès le lendemain, mon texte était lettre du jour chez l’éternel rival du quotidien de la rue St-Jacques qui lui, peut prendre jusqu’à trois mois avant de passer l’un de vos topos. Trois autres lettres du jour devaient suivre dans le quotidien de Québecor tandis que La Presse ignorait désormais systématiquement tous mes envois. Treize mois plus tard, ce quotidien s’obstine autant à me snober que Stephen Harper s’entête dans le dossier d’Omar Kadr.
En mai dernier, j’avais déjà envoyé un courriel à Christiane Clermont, adjointe à l’éditorialiste en chef de La Presse, lui demandant ce qui pouvait expliquer une telle désaffection. Voici sa réponse, assortie de mes commentaires entre parenthèses :
« De mémoire, je me souviens que nous devions publier l'un de vos textes il y a quelques semaines (vous m'en direz tant…), mais ce jour-là vous étiez déjà publié dans Le Journal de Montréal. (qui lui est toujours en avance sur son rival. Ça faisait déjà quatre fois que mon texte s'y trouvait dès le lendemain de son envoi. La Presse, qui n’aime pas jouer les seconds violons, n’a pourtant rien d’un Paganini, question vitesse…)
« Pour tous vos autres textes, je crois qu'il ne s'agit probablement (que) d'un malheureux concours de circonstance... (Évocateurs, ces points de suspension. Beau flou artistique sur des motivations aussi questionnables qu'inavouables ?)
« Comme vous le savez, nous avons deux pages par jour sur lesquelles nous publions environ deux ou trois textes d'opinion et une boîte aux lettres. Si vous avez transmis un texte sur un sujet de l'heure, il est certain que nous en ayons reçu quelques-autres et, la vérité (Ai-je bien lu "vérité" dans cette mare de faux-fuyants?) est que nous devons choisir parmi tous ces excellents textes. (Réflexe peu subtil de femme trompée qui se targue de l’embarras des prétendants.)
« Aussi, puis-je vous suggérer de tenter de réduire la longueur de vos textes. Ils font souvent plus de 650 mots et nous privilégions les textes de 400 à 500 mots. (La meilleure ! Mes textes, il est vrai, dépassent fréquemment les 500 mots, mais avoisinent en fait les 560 mots ou moins, et jamais les 650. Mme Clermont serait-elle dyslexique ?)
« Tout cela étant dit, je m'informe quand même auprès de Jean-Pascal Beaupré (J’en suis persuadé !), qui est le responsable de la publication des textes d'opinion. » (Aucune suite à cette démarche, si jamais elle fut entreprise.)
Ce courriel m’a été envoyé le 19 mai et bien sûr, aucun de mes textes n’a été publié depuis à La Presse, bien que Le Soleil et Le Nouvelliste continuent à les faire paraître. Apparemment, La Presse a compris quelque chose qui échappe à ces deux quotidiens.
Vous me trouverez paranoïaque, mais quand j’envoie un ou deux articles par mois à un journal et que, 13 mois plus tard, il n’en a toujours publié aucun, les mots « boycotté » et « blacklisté » s’immiscent malgré moi dans mon esprit conscient et subconscient. Aussi, dans une société qui se veut démocratique et réceptive à l’opinion publique au point de parler de journaliste-citoyen à tire larigot, l’attitude de La Presse paraît pour le moins sectaire et vindicative. « T’es allé voir ailleurs, ramènes pas tes microbes ici ! » semble être devenu leur mantra. Encore heureux qu’on ne me parachute pas Mme Clermont armée d’un rouleau à pâte et d’une demande de pension alimentaire !
Reste que cet irrespect et ce manque d’écoute envers le lecteur expliquent peut-être, plus que la crise actuelle, que ce journal soit présentement acculé à la faillite et plus que jamais distancé au plan du lectorat par Le Journal de Montréal. La situation économique est la même pour tous les médias, mais force est d’admettre qu’il s’en trouve un pour continuer à paraître le dimanche… (Ne sont-ils pas savoureux, ces bons vieux points de suspension ?...)
30 août 2009
Trois-Rivières, le 31 août 2009
M Jean-Pascal Beaupré,
Mme Christiane Clermont,
Ayant disposé de 13 mois pour mûrir ma décision, ce n’est pas sur un coup de tête que je vous renvoie la présente page laminée où figure la lettre de la semaine que vous m’aviez décernée en des jours meilleurs.
Voilà donc 13 mois que vous ignorez systématiquement mes textes sous les prétextes les plus fallacieux. Je fais ici allusion à ce courriel de Mme Clermont, en date du 19 mai dernier, dont le moins que je puisse dire est qu’il est venu confirmer mes soupçons, loin de les dissiper.
Un vétéran de la presse écrite m’avait mis en garde contre les risques qu’il y avait à être publié dans le Journal de Montréal, d’abord parce que ses journalistes, en lock-out, pouvaient me cataloguer comme briseur de grève bénévole, ensuite parce que La Presse pouvait me percevoir comme « collaborateur » du Journal.
Pour étonnantes que m’aient alors paru ces affirmations, force m’est d’admettre aujourd’hui qu’elles étaient fondées, du moins en ce qui concerne La Presse.
Je comprendrais l’attitude de votre journal si, étant rémunéré par lui, je jouais double jeu avec le Journal de Montréal. En tant que rédacteur bénévole qui n’appartient, de ce fait, qu’à lui-même, je n’admets pas de me voir pénalisé d’avoir publié ailleurs, comme s’il s’agissait d’un geste de dissidence, de traîtrise ou de désaveu de la qualité de votre journal.
Quant à l’argument avancé par Mme Clermont pour boycotter mes topos, soit qu’il est difficile de choisir parmi « tous ces excellents textes » qui lui parviennent, il est si biodégradable que je ne me donnerai même pas la peine de le réfuter.
Aussi, comme de contempler votre lettre de la semaine sur mon mur ne m’apporte plus de satisfaction – en plus de prendre la place d’une étagère - , je trouve légitime et cohérent de vous la retourner. Sa présence chez moi n’a plus de sens. Je pose ce geste en mon nom, mais aussi en soutien à ceux et celles que vous proscrivez de la même façon.
Dois-je vous préciser que je ne vous importunerai plus avec mes envois ? Notre collaboration appartient désormais au passé et cette fois, c’est aussi clair pour moi que ça l’est pour vous. Adieu donc.
Olivier Kaestlé
Auteur libre
[2] Ce texte faisait suite à un autre, envoyé en pure perte à la tribune d’opinion de Cyberpresse le 11 juin dernier. Le voici :
Le bal des vedettes
Depuis 2006, je me suis pris au jeu de participer aux tribunes d’opinions de plusieurs quotidiens. Je dois admettre que j’ai été plus souvent qu’autrement choyé par leur réceptivité, qu’il s’agisse du Soleil de Québec, du Nouvelliste de Trois-Rivières et, dans une moindre mesure, de La Presse et du Journal de Montréal, plus sollicités que les précédents. Une forteresse imprenable cependant : Le Devoir, aux yeux de qui il faut être Montréalais ou oracle pour trouver grâce.
Parmi mes tribunes favorites, je devais compter Cyberpresse, non pas le site regroupant tous les quotidiens de Gesca, mais le média électronique « offrant » une tribune d’opinion et qui, jusqu’au début de cette année, avait toujours assez favorablement accueilli mes textes, ainsi que ceux d’autres citoyens dits « ordinaires » exprimant des points de vue d’intérêt général.
Comme, depuis le 12 janvier, Cyberpresse a cependant décliné la totalité de mes topos, je leur ai écrit pour connaître la raison d’une telle tiédeur : silence radio. J’examinais alors les signatures des lettres publiées depuis le 14 avril à nos jours (11 juin. N.D.A.). J’ai constaté, non pas que l’on privilégiait les « vedettes », personnalités connues ou détenteurs de postes de prestige, mais bien qu’on leur donnait exclusivement la parole. Le simple citoyen n’a désormais plus droit de parole à Cyberpresse. Bref, ce média se prend pour Le Devoir qui, depuis la nuit des temps, pose en tribune de l’intelligentsia québécoise.
En partant du signataire le plus ancien jusqu’au plus récent, publié le 11 juin, sont parus, à Cyberpresse : le directeur de Greenpeace du Québec; un professeur à l’École du travail social à l’UQÀM; un maître en droit international; un commissaire de la GRC; un sociologue des médias; le président du barreau canadien; le directeur général du collectif des entreprises d’insertion du Québec; un associé directeur d’Ernst & Young pour l’Est du Canada; un économiste à l’Institut de recherches et d’information socio-économique; Pierre-Hugues Boisvenu; le comité AVEC; le directeur du Centre d’excellence de l’Union européenne à l’UM et à McGill; une titulaire de la Chaire d’études au Mexique contemporain à l’UM; Michèle Asselin; un collectif d’organismes et d’entreprises; la fédération du Québec pour le planning des naissances et deux autres organisations pro-choix; un maître en sciences politique de l’UM ayant travaillé pour le Conseil du patronat; un professeur honoraire à l’INRS; trois féministes connues, appuyées d’une liste impressionnante de signataires; le directeur général des muséums natures; Sébastien Dhavernas; une membre du pôle de recherche REDTAC; la présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec; un collectif de signataires et un économiste et professeur à la faculté des sciences et de l’administration de l’UM.
Seuls deux citoyens, dont un fonctionnaire de 25 ans d’expérience, ont trouvé grâce aux yeux de Cyberpresse. Nul doute que les gens dotés d’un titre ou d’une notoriété aient droit, comme tout un chacun, à une tribune, mais quand leurs points de vue monopolisent exclusivement un média, à l’époque où se développe de plus en plus le concept de journaliste-citoyen, un dangereux glissement éthique et démocratique se fait jour. Avant longtemps, nous nous verrons confrontés à l’évidence d’un élitisme omniprésent et content de soi et à la perte du droit de parole inaliénable qui doit être reconnu à tout citoyen, même le plus humble. Cette dérive doit être évitée.
Note : D’abord envoyée à Cyberpresse, qui a pour habitude de publier un texte le lendemain de son envoi ou pas du tout, la version initiale de ce commentaire a été déclinée. L’opinion d’un professeur titulaire à l’École d’architecture de l’Université de Montréal était sans doute plus pertinente. Depuis, le bal des vedettes s’est poursuivi…
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