De tout
temps, a existé une catégorie de personnalités, ou devrais-je dire, de
personnages, particulièrement doués pour faire parler d’eux, que ce soit par la
controverse qu’ils suscitent, l’originalité - pour ne pas dire l’excentricité -
des points de vue qu’ils expriment, et les passions qu’ils déchaînent
sporadiquement, comme si le besoin de se retrouver dans l’œil du public leur
était devenu avec le temps une drogue dont ils ne peuvent se passer. J’avais
déjà évoqué le cas d’Amir Khadir, se faisant arrêter lors d’une manif illégale,
avant de déclarer qu’il avait agi, ce faisant, comme Martin Luther King et
Gandhi l'auraient fait. Ces faits et gestes ne sont bien sûr pas passés
inaperçus. C’est au tour cette fois du fabuleux Doc Mailloux d’attirer sur lui
les feux des projecteurs, comme les foudres de ses détracteurs, en discourant
notamment sur… Amir Khadir.
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Le doc Mailloux |
C’est en effet le 15 juin dernier, à l’émission Show Tard, animée par Mario Tremblay, sur les
ondes de Radio X, que le controversé psychiatre allait déclencher un nouvel incendie médiatique. Débutant son intervention par une affirmation à l’effet
que ce n’était pas tant le député de Mercier que sa culture arabe – or, Khadir
est Iranien - qui l’indisposait, Mailloux allait ensuite s’en prendre cette
fois à la communauté musulmane par des propos aussi réducteurs que flamboyants.
« J’ai une hantise pour les Arabes, devait-il affirmer dans son style coloré,
pour la culture maghrébine, pour moi, ce sont des peuples profondément tarés. »
N’hésitant pas à
innover, avec l'étonnant concept de « cannibalisme familial », il allait préciser sa
perception : « C’est du cannibalisme familial, pas au sens propre, mais ça se
dévore littéralement, ça a aucun respect. » Ne s’arrêtant pas en si bon chemin,
le psy en rajoutait, dénonçant ce qu’il estimait la situation de répression
sexuelle vécue par les femmes dans les familles musulmanes. Les hommes de cette
religion se nourriraient littéralement de l’oppression qu’ils leur infligent.
Charmant portrait de famille.
Si seulement
Mailloux s’en était tenu à dénoncer d’aussi excessive et grandguignolesque
façon l’islamisme, la déviance politique, issue de l’islam, la religion, et
avait fustigé la charia, fer de lance des intégristes et véritable instrument
d’oppression envers les femmes, ses excès de langage, non seulement auraient
été excusables, mais seraient mêmes devenus pertinents, à défaut de briller par l'élégance. En mettant tous les Musulmans
dans le même sac, Mailloux n’aura réussi qu’à paraître aussi raciste et ignare
que ses détracteurs l’affirment. Voilà un comportement indigne d’un spécialiste
de la santé mentale, doublé d’un animateur disposant d’un pouvoir d’expression
publique.
Islam et
islamisme
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Mode islamiste : le niqab. |
Sans excuser le
psychiatre, il faut toutefois admettre que la distinction entre islam et
islamisme n’est pas évidente pour un grand nombre de personnes, peut-être une
majorité. Même le dictionnaire Robert et le Multi dictionnaire de Marie-Éva De
Villers définissent de façon trompeuse l’islamisme comme étant la religion des Musulmans. Le Multi
dictionnaire ajoute cependant un deuxième sens : « Mouvement religieux
préconisant l’islamisation complète de la vie politique, sociale, économique,
etc. » (p. 821). Wikipédia véhicule cependant des définitions plus susceptibles
d’éclairer le profane sur cette question épineuse. Les voici :
L’islam, selon cette source, se définit ainsi : « L'islam (arabe : الإسلام) est une religion
abrahamique articulée autour du Coran, que le dogme islamique considère comme
le recueil de la parole de Dieu (arabe : الله, Allah) révélée à Mahomet,
considéré par les adhérents de l'islam comme le dernier prophète de Dieu2, au viie
siècle en Arabie. Un adepte de l'islam est appelé un musulman. L'islam a pour
fondement et enseignement principal le tawhid (monothéisme, unicité),
c'est-à-dire qu'elle revendique le monothéisme le plus épuré où le culte est
voué exclusivement à Dieu. »
Or, même si le concept de charia, traduit comme « le chemin pour respecter la loi (de Dieu )»,
est évoqué dans le coran, « le niveau, l’intensité et l’étendue du pouvoir
normatif de la charia varient considérablement sur les plans historiques et
géographiques1. » Une telle latitude, dans l’interprétation de règles de vies
censées régir « à la fois les aspects publics et privés de la vie d’un
musulman, ainsi que les interactions sociétales » semble bien avoir ouvert la
porte aux excès commis par les intégristes radicaux qui se réclament de l’islam
depuis le siècle dernier.
Ainsi, toujours selon Wikipédia, « L'islamisme est un courant de pensée musulman,
essentiellement politique, apparu au xxe siècle. L'usage du terme depuis sa
réapparition dans la langue française à la fin des années 1970 a beaucoup
évolué1,2. Il peut s'agir, par exemple, du « choix conscient de la doctrine
musulmane comme guide pour l’action politique »3 - dans une acception que ne
récusent pas certains islamistes - , ou encore, selon d'autres, une « idéologie
manipulant l'islam en vue d'un projet politique : transformer le système
politique et social d'un État en faisant de la charia, dont l'interprétation
univoque est imposée à l'ensemble de la société, l'unique source du droit »4. C'est
ainsi un terme d'usage controversé. »
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Mahomet |
Que de chemin
parcouru entre la religion islamique, dont le dernier prophète, Mahomet, a vécu
au 7e siècle, et l’islamisme, « essentiellement politique », apparu au 20e
siècle. Des deux définitions proposées de l’islamisme par Wikipédia, c’est sans
hésiter la deuxième que je choisis comme la plus adéquate, soit celle d’une «
idéologie manipulant l’islam en vue d’un projet politique ». Est-il besoin de
se faire spécialiste des questions musulmanes pour constater l’impact
dévastateur de cette déviance sur les femmes du Moyen-Orient, d’Asie du Sud-Est
ou d’Afrique du Nord ? L’Arabie Saoudite, l’Afghanistan, l’Iran ou l’Irak ne
défraient-ils pas suffisamment la manchette par les interdits vestimentaires,
professionnels, sociaux, ou légaux infligées aux musulmanes, sans compter les
mauvais traitements, la torture et la lapidation autorisés par la charia ?
Comment
s’aliéner des alliés
Des porte-parole
d’organismes musulmans à s’être insurgés contre les propos – à nouveau –
controversés du doc Mailloux, Tarek Fatah, dont le moins qu'on puisse dire est qu’il
ne correspond en rien au profil de l’intégriste musulman, ne manque pas de
retenir l’attention. Ayant à de multiples reprises interpellé les pouvoirs
politiques afin de préserver notre société des dérives de l’islamisme, le
fondateur du Congrès musulman canadien y est allé d’une position sans ambiguïté sur les propos du psychiatre : « Il n’y a pas de place pour le racisme dans le
discours public et ce n’est certainement pas la manière de tenir un débat
politique dans une société démocratique telle que le Québec. »
Dommage pour
Mailloux, qui aurait probablement approuvé, du moins en partie, les dénonciations du militant musulman, tenues en juin 2011 à Toronto, dans le cadre
de Ideacity 2011 : « Ne sacrifions jamais tous ces acquis (sociaux) au nom de
la diversité ou de la tolérance. Ne tolérons pas cet islamo-fascisme et son
sectarisme. Par ailleurs, j’appelle cette fausse tolérance le «racisme de
l’attente minimaliste» quand on sous-entend en fait «oui, tous les êtres
humains sont égaux, mais ces pauvres musulmans ne sont peut-être pas aussi
développés que les autres êtres humains, alors on va leur mettre la barre un
peu plus bas». Voilà un préjugé infériorisant du même tonneau que ceux de Mailloux.
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Tarek Fatah |
Fatah ne ménage
pas non plus les féministes, si incohérentes à propos de l’oppression infligée aux
musulmanes : « Si un type bat sa femme et tue sa fille, on ne va même pas
appeler cela un crime d’honneur, ces choses se passent ici à Toronto. Quand Aqsa
Pervez a été tuée, j’ai même entendu des groupes de féministes dire «Non, ce
n’est pas un crime d’honneur», alors que disent-elles quand on sait que 500 000
femmes sont tuées chaque année (sic !) ? Si un homme plaide coupable d’un crime
d’honneur il reçoit la moitié de la peine qu’il aurait eue pour un autre crime
« Et pourtant,
il existe des organisations féministes dans notre ville qui me qualifient de
fou ou de fanatique d’extrême droite ou d’agent sioniste, pour avoir osé élever
ma voix devant le cadavre d’Aqsa Pervez ! » Étonnant…
Eh oui, il
suffit de critiquer l’islamisme, pour se voir taxer de xénophobe, le féminisme,
pour se voir traité de misogyne, Amir
Khadir, pour devenir un mercenaire à la solde de Jean Charest, les abus
syndicaux, pour se métamorphoser en suppôt du néolibéralisme.
Pire qu’un
coup d’épée dans l’eau.
C’est à cause de ce perpétuel chantage
idéologique reposant sur pareils procès d’intention que les maladresses d’un
doc Mailloux nuisent aux fléaux qu’il cherche – à supposer que ce soit le cas –
à dénoncer. Loin de faire avancer quelle cause que ce soit, ces prises de
position catastrophiques sont vite récupérées par les intégristes les plus
nuisibles qui peuvent alors, devant ce racisme pataud, jouer aux victimes de
l’intolérance de notre société arriérée, voire « tarée ». Dans pareille
optique, les propos du doc Mailloux deviennent pire qu’un coup d’épée dans
l’eau. Ils contribuent à perpétuer la barbarie primaire et oppressive dont le
psy se fait malgré lui – du moins, je présume - un idiot utile.