Au détour d’un fait divers, après l’éditorial du jour, avant la chronique des films, nous finissons toujours par nous y attarder. Tel des flâneurs qui s’accordent un répit des journalistes, commentateurs et autres experts, nous pouvons y prendre le poux des gens dits ordinaires. Le courrier du lecteur reste en effet cette zone franche dans laquelle une foule bigarrée et hétéroclite exerce son droit démocratique de s’exprimer.
On y trouve de tout, tant aux plans des sujets que des auteurs, de la dame émerveillée d’un spectacle, au travailleur indigné d’un lock-out, en passant par le doctorant dissertant sur une question internationale. La rubrique d’opinions de notre quotidien offre davantage qu’une soupape permettant de relâcher le trop-plein de nos états d’âmes les plus tangibles. Il s’agit d’un espace favorisant l’exercice de notre citoyenneté, au sens d’une appartenance à la collectivité. C’est aussi un lieu stimulant notre désir d’influer sur nos choix collectifs. Y parvenir vraiment reste toutefois une autre paire de manches.
Cette tribune, quand nous nous en prévalons, nous oblige par moments à passer de l’indignation spontanée à un exercice de réflexion et de communication mettant à l’épreuve nos convictions les plus intimes. S’il est aisé de rouspéter dans son salon, il en va différemment lorsqu’il s’agit de transmettre une opinion cohérente à un lectorat regroupant une diversité presque illimitée de points de vue.
Bien sûr, les positions à caractère social ou politique ne représentent qu’une facette de la rubrique d’opinions. Certains partageront des témoignages sentis à propos d’expériences vécues, ou dont ils auront été les témoins. D’autres formuleront des commentaires irrités, amusés ou farfelus sur des sujets terre-à-terre qui meublent notre quotidien. À l’opposé, des lecteurs se lanceront dans des spéculations étoffées tantôt subtiles, parfois aventureuses, sur des enjeux complexes ou abstraits.
Au-delà de la somme des points de vue qu’il véhicule, le courrier du lecteur offre un portrait quotidien des préoccupations de toutes les couches de la population, indépendamment des faiseurs d’opinions, ou en réaction à leurs propos. On y trouve parfois des thèmes peu abordés dans les médias, ou des approches différentes de sujets connus. Cette rubrique constitue une forme de subconscient médiatique qui permet à l’occasion aux équipes de rédaction de moduler leur traitement, en plus d’alimenter le débat social et de favoriser la circulation d’idées.
Dans une perspective plus vaste, la rubrique d’opinion influence dans une mesure variable des décideurs et intervenants de toutes les sphères d’activités, y compris ceux qui président à nos destinées politiques, économiques et sociales. C’est pourquoi, lorsque nous sentons que nous pourrions donner un appui, exprimer un désaccord ou formuler une requête, il importe d’écouter notre instinct. À une époque de désillusion généralisée envers nos dirigeants, la participation à une tribune publique reste une façon privilégiée de poser un geste citoyen. À défaut de changer le monde, votre point de vue transcendera les limites de votre salon.
Ce Rétrolivier est paru dans Le Soleil du 19 août 2007, sous le titre À défaut de changer le monde…
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