Danielle McCann et Horacio Arruda |
L’auteur de ladite plainte n’est
pas n’importe qui. Il s’agit du
président du Conseil de la protection des malades, Paul Brunet, qui a cependant
agi à titre personnel, et non en tant que porte-parole du CPM. Il a précisé toutefois que la Sûreté du Québec
« étudie présentement le dossier. »
Pour qui se soucie du sort de nos
aînés, si facilement oubliés par un gouvernement qui a eu le culot de s’attribuer
une « note parfaite » après cette hécatombe, ce geste
humanitaire et courageux ne pouvait pas mieux tomber, alors que se poursuivait
ce 4 novembre l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur la mort de plusieurs milliers de personnes âgées en CHSLD.
Arruda
et McCann accusés
Brunet n’a pas mâché ses
mots :
« Selon
M. Brunet, deux personnes avaient le pouvoir et le devoir d’agir pour
prévenir l’hécatombe qui s’est produite dans les milieux d’hébergement pour
aînés : le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, et
l'ex-ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec,
Danielle McCann. »
« Ces
personnes ont été ignorées, abandonnées, sacrifiées par les autorités. »
Québec a tardé à réagir
Soulignant que Québec avait tardé à réagir à la déclaration d’État d’urgence internationale décrétée par l’OMS le 30 janvier 2020, Brunet affirmait que les personnes âgées, ayant été désignées comme plus à risque par un grand nombre de sources scientifiques, auraient dû se voir priorisées par des mesures préventives. Ce ne fut pas le cas, mais il y a pire :
« Retrait des proches aidants, consultations par
télémédecine, refus de tester systématiquement tous les aînés en centre
d’hébergement : autant de choix qui ont contribué, selon M. Brunet, à
protéger les plus vulnérables de manière inadéquate. »
« Donc, ils ont crevé de
faim. Il faut le dire. » - Dr
Vinh-Kim Nguyen
L’appareil gouvernemental est
lourd et lent, personne n’en doute. Ça
fait maintenant six mois que la coroner Kamel pilote son enquête publique, à
laquelle elle a donné récemment une perspective « nationale ».
Pourtant, dès avril 2020, le Journal de Montréal publiait un
article consternant sur le sort réservé aux personnes âgées :
« «
C’est clair que les décès qu’on a vus [à l’hôpital] ne sont pas tous
attribuables à la COVID-19 », a souligné hier en entrevue le Dr Vinh-Kim
Nguyen, un urgentologue rattaché à l’Hôpital général juif, qui a été désigné
pour traiter les cas de coronavirus à Montréal. »
À cause de l’imprévoyance
des autorités, la gestion de la covid a-t-elle été plus dommageable que la
covid elle-même ? Le manque de personnel
dans les CHSLD a eu des conséquences critiques :
« «
Le problème, explique-t-il, c’est qu’il n’y avait pas assez [de personnel
dans les CHSLD] pour nourrir ces gens-là. Donc, ils ont crevé de faim. Il faut
le dire. Nous, ce qu’on voit à l’hôpital, ce sont des patients qui
viennent complètement déshydratés, en insuffisance rénale, parce qu’ils n’ont
pas assez bu depuis de nombreux jours. » »
Privés
du soutien de leurs proches
Comme
si ce n’était pas suffisant de se voir abandonnés, faute de personnel, il
fallait en plus priver ces démunis du soutien affectif et logistique de leur
famille et d’aidants naturels :[1]
« L’urgentologue,
qui fait aussi partie de Médecins sans frontières, estime que les conditions
des résidents des CHSLD ont pris un mauvais tournant lorsque les visites des
familles ont été interdites.
Elles
assuraient souvent, dit-il, une partie des soins pour ces aînés très
démunis. »
Une évidence… mais pas pour tout le monde. Une professeure en travail social à
l’Université du Québec à Montréal, Michèle Charpentier, affirmait de son côté
que des ainés se laissaient carrément mourir :
« [Elles]
se laissent aller, ne mangent plus. Elles sont déshydratées et vivent
probablement des formes d’anxiété et de dépression face au contexte à l’entour
d’elles. »
Mme Charpentier
fait état de cas déchirants d’aînés fragiles et confus qui sont en grande
détresse après avoir été coupés de leurs
familles.
« Il y a
une rupture complète, dit-elle, avec les gens que les personnes âgées aiment,
qui sont importants pour elles. »
« On rentre là et ça sent la mort. » - Liliane Fournier, enseignante
Un autre article du Journal de Montréal d’avril 2020 fait état du désarroi de
plusieurs soignantes devant l’extrême gravité de la situation qu’elles devaient
découvrir :
« «
On rentre là et ça sent la mort. Il n’y a presque personne. On ne se croirait
pas en 2020 [en termes de conditions pour les résidents]. On s’est dit : “qu’est-ce qu’on fait là
? Va-t-on survivre ?” » se souvient Mme (Liliane) Fournier, au sujet de son
passage vendredi soir dernier au Centre d’hébergement Nazaire-Piché de
l’arrondissement Lachine, à Montréal. »
Sa
consœur, Isabel Valero, ajoutait :
«
Liliane et moi, on a commencé à faire l’évaluation des plaies et on s’est
rendu compte que plusieurs baignaient dans leurs culottes souillées. Donc,
on a commencé à changer des culottes d’incontinence en même temps que les
pansements », explique Mme
Valero.
« Ça
faisait longtemps. Le contenu avait commencé à sécher et coller sur la peau de
résidents », poursuit Mme Fournier.
Une autre soignante
témoignait :
« «
Ce qui m’a le plus affectée lorsque je suis arrivée, c’est l’odeur. Ça
sentait les lits sales, les excréments et l’urine mélangés à du désinfectant »,
raconte Anouk Poulin au sujet de sa première journée dans un CHSLD de Montréal
dont elle préfère taire le nom, mercredi dernier. »
Mme Fournier fait un
constat qui pourrait trouver écho chez nombre de citoyens :
« «
C’est dur d’expliquer comment le système [de santé] a pu en arriver là. C’est
comme si on vivait un cauchemar et qu’on avait hâte de se réveiller », image
Mme Fournier. »
Arruda
témoigne, Blais brille par son absence
La coroner Kamel n’a pas
été tendre, ce 11 novembre, envers le directeur de la Santé publique, Horacio Arruda, alors
qu’elle soulignait l’existence d’un plan datant de 2006 destiné à faire face à
une éventuelle pandémie d’influenza et à une sérieuse pénurie de personnel. Ce plan n’a tout simplement pas été appliqué. Elle ajoutait :
« «
Ce qui me dérange, c’est que tout est écrit dans nos plans [...] tout est
prévu. Je comprends qu’entre le prévoir et le vivre c’est
une chose, mais on a eu des gens qui ont été délestés: des éducateurs, des
travailleurs sociaux, des nutritionnistes », a-t-elle rappelé. »
Arruda s’est abrité derrière
l’excuse classique du manque de personnel, ce qui n’a vraiment pas impressionné
la coroner, et a justifié l’interdiction des visites familiales par la volonté
de protéger le public, en soulignant que l’interdiction avait été levée à la
mi-avril. Le directeur de la Santé publique doit poursuivre son
témoignage lundi.
Marguerite Blais, ministre
responsable des aînés, ne témoignera pas devant la coroner Kamel présumément en
raison de problèmes de santé. Elle sera
remplacée par l’ex-sous-ministre à la Santé Yvan Gendron et par l’ancienne ministre
de la Santé maintenant à l’Éducation supérieure, Danielle McCann, celle-là même
qui est visée, ainsi qu’Horacio Arruda, par la plainte pour négligence
criminelle déposée par le président du CPM.
La confrontation, qui aura lieu
les 16 et 17 novembre prochains, promet d’être intéressante…
Le mot de la fin
C’est précisément au président
du CPM, Paul Brunet, que je laisserai le mot de la fin de ce tragique et
probablement évitable épisode de l’histoire du Québec :
« Ce que je souhaite et que je dis depuis le début, c'est
que quelqu'un réponde, [...] que quelqu'un soit imputable de ce qui est arrivé,
pour que les familles puissent enfin faire leur deuil,
a expliqué M. Brunet en entrevue après son témoignage devant la
coroner. »
Ce
vœu, nous sommes un grand nombre à le soutenir.
[1] J’ai travaillé sept ans en milieu
hospitalier en tant qu’agent de service privé, un type d’agent de sécurité
chargé de veiller sur des patients psychiatrisés, leurs voisins de chambre ou
de civière, et sur le personnel infirmier les entourant. J’ai eu souvent à travailler en isolation,
c’est-à-dire dans une chambre ou à l’urgence auprès de personnes très souvent
âgées, atteintes de bactérie C-difficile, de zona, de SARM, d’hépatite C, entre
autres infections.
Je devais pour l’occasion revêtir
blouse, gants et, bien sûr, masque de procédure. Bien que les patients étaient infectés, nous
devions porter cet attirail surtout pour ne pas les contaminer, en raison de la
fragilité de leur système immunitaire, par un microbe ou un virus venu de
l’extérieur.
Quand la famille d’un patient
venait le visiter, je devais veiller à ce qu’elle respecte une série de mesures
préventives des plus simples : se passer les mains au Purell, revêtir une
blouse protectrice en s’assurant qu’elle soit bien fermée à l’arrière afin que
les visiteurs ne se contaminent pas sur une chaise, puis, enfiler masque et
gants, le tout avant de rentrer dans la chambre. La visite terminée, les visiteurs devaient
retirer blouse, masque et gants, et jeter le tout dans un bac à cet effet avant
de quitter la chambre après s’être désinfecté les mains.
Cette procédure fonctionnait en milieu hospitalier envers toutes les infections possibles et imaginables. Pourquoi, soudainement, devaient-elles cesser d’être efficaces en CHSLD ?
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