dimanche 14 novembre 2021

Hécatombe en CHSLD : une plainte pour négligence criminelle contre Arruda et McCann

Danielle McCann et Horacio Arruda
Coup de théâtre dans l’univers de la pensée unique touchant la gestion de la covid-19 : une plainte pour négligence criminelle vient d’être déposée à la Sûreté du Québec pour la façon inqualifiable dont nos aînés ont été laissés à eux-mêmes jusqu’au trépas lors de la première vague de la crise politico-sanitaire.

L’auteur de ladite plainte n’est pas n’importe qui.  Il s’agit du président du Conseil de la protection des malades, Paul Brunet, qui a cependant agi à titre personnel, et non en tant que porte-parole du CPM.  Il a précisé toutefois que la Sûreté du Québec « étudie présentement le dossier. »

Pour qui se soucie du sort de nos aînés, si facilement oubliés par un gouvernement qui a eu le culot de s’attribuer une « note parfaite » après cette hécatombe, ce geste humanitaire et courageux ne pouvait pas mieux tomber, alors que se poursuivait ce 4 novembre l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur la mort de plusieurs milliers de  personnes âgées en CHSLD.

Arruda et McCann accusés

Brunet n’a pas mâché ses mots :

« Selon M. Brunet, deux personnes avaient le pouvoir et le devoir d’agir pour prévenir l’hécatombe qui s’est produite dans les milieux d’hébergement pour aînés : le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, et l'ex-ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Danielle McCann. »

 Il devait ajouter, après avoir surmonté un sanglot :

« Ces personnes ont été ignorées, abandonnées, sacrifiées par les autorités. »

Québec a tardé à réagir

Soulignant que Québec avait tardé à réagir à la déclaration d’État d’urgence internationale décrétée par l’OMS le 30 janvier 2020, Brunet affirmait que les personnes âgées, ayant été désignées comme plus à risque par un grand nombre de sources scientifiques, auraient dû se voir priorisées par des mesures préventives.  Ce ne fut pas le cas, mais il y a pire :

« Retrait des proches aidants, consultations par télémédecine, refus de tester systématiquement tous les aînés en centre d’hébergement : autant de choix qui ont contribué, selon M. Brunet, à protéger les plus vulnérables de manière inadéquate. »

« Donc, ils ont crevé de faim. Il faut le dire. »  - Dr Vinh-Kim Nguyen

L’appareil gouvernemental est lourd et lent, personne n’en doute.  Ça fait maintenant six mois que la coroner Kamel pilote son enquête publique, à laquelle elle a donné récemment une perspective « nationale ».

Pourtant, dès avril 2020, le Journal de Montréal publiait un article consternant sur le sort réservé aux personnes âgées :

« « C’est clair que les décès qu’on a vus [à l’hôpital] ne sont pas tous attribuables à la COVID-19 », a souligné hier en entrevue le Dr Vinh-Kim Nguyen, un urgentologue rattaché à l’Hôpital général juif, qui a été désigné pour traiter les cas de coronavirus à Montréal. »

À cause de l’imprévoyance des autorités, la gestion de la covid a-t-elle été plus dommageable que la covid elle-même ?  Le manque de personnel dans les CHSLD a eu des conséquences critiques :

« « Le problème, explique-t-il, c’est qu’il n’y avait pas assez [de personnel dans les CHSLD] pour nourrir ces gens-là. Donc, ils ont crevé de faim. Il faut le dire. Nous, ce qu’on voit à l’hôpital, ce sont des patients qui viennent complètement déshydratés, en insuffisance rénale, parce qu’ils n’ont pas assez bu depuis de nombreux jours. » » 

Privés du soutien de leurs proches

Comme si ce n’était pas suffisant de se voir abandonnés, faute de personnel, il fallait en plus priver ces démunis du soutien affectif et logistique de leur famille et d’aidants naturels :[1]

« L’urgentologue, qui fait aussi partie de Médecins sans frontières, estime que les conditions des résidents des CHSLD ont pris un mauvais tournant lorsque les visites des familles ont été interdites.        

Elles assuraient souvent, dit-il, une partie des soins pour ces aînés très démunis. »  

Une évidence… mais pas pour tout le monde.  Une professeure en travail social à l’Université du Québec à Montréal, Michèle Charpentier, affirmait de son côté que des ainés se laissaient carrément mourir :

« [Elles] se laissent aller, ne mangent plus. Elles sont déshydratées et vivent probablement des formes d’anxiété et de dépression face au contexte à l’entour d’elles. »        

Mme Charpentier fait état de cas déchirants d’aînés fragiles et confus qui sont en grande détresse après avoir été coupés de leurs familles.        

« Il y a une rupture complète, dit-elle, avec les gens que les personnes âgées aiment, qui sont importants pour elles. »

« On rentre là et ça sent la mort. » - Liliane Fournier, enseignante

Un autre article du Journal de Montréal d’avril 2020 fait état du désarroi de plusieurs soignantes devant l’extrême gravité de la situation qu’elles devaient découvrir :

« « On rentre là et ça sent la mort. Il n’y a presque personne. On ne se croirait pas en 2020 [en termes de conditions pour les résidents]. On s’est dit : “qu’est-ce qu’on fait là ? Va-t-on survivre ?” » se souvient Mme (Liliane) Fournier, au sujet de son passage vendredi soir dernier au Centre d’hébergement Nazaire-Piché de l’arrondissement Lachine, à Montréal. »

Sa consœur, Isabel Valero, ajoutait :

« Liliane et moi, on a commencé à faire l’évaluation des plaies et on s’est rendu compte que plusieurs baignaient dans leurs culottes souillées. Donc, on a commencé à changer des culottes d’incontinence en même temps que les pansements », explique Mme Valero.                   

« Ça faisait longtemps. Le contenu avait commencé à sécher et coller sur la peau de résidents », poursuit Mme Fournier.    

Une autre soignante témoignait :

« « Ce qui m’a le plus affectée lorsque je suis arrivée, c’est l’odeur. Ça sentait les lits sales, les excréments et l’urine mélangés à du désinfectant », raconte Anouk Poulin au sujet de sa première journée dans un CHSLD de Montréal dont elle préfère taire le nom, mercredi dernier. »

Mme Fournier fait un constat qui pourrait trouver écho chez nombre de citoyens :

« « C’est dur d’expliquer comment le système [de santé] a pu en arriver là. C’est comme si on vivait un cauchemar et qu’on avait hâte de se réveiller », image Mme Fournier. »    

Arruda témoigne, Blais brille par son absence              

La coroner Kamel n’a pas été tendre, ce 11 novembre, envers le directeur de la Santé publique, Horacio Arruda, alors qu’elle soulignait l’existence d’un plan datant de 2006 destiné à faire face à une éventuelle pandémie d’influenza et à une sérieuse pénurie de personnel.  Ce plan n’a tout simplement pas été appliqué.  Elle ajoutait :

« « Ce qui me dérange, c’est que tout est écrit dans nos plans [...] tout est prévu. Je comprends qu’entre le prévoir et le vivre c’est une chose, mais on a eu des gens qui ont été délestés: des éducateurs, des travailleurs sociaux, des nutritionnistes », a-t-elle rappelé. »

Arruda s’est abrité derrière l’excuse classique du manque de personnel, ce qui n’a vraiment pas impressionné la coroner, et a justifié l’interdiction des visites familiales par la volonté de protéger le public, en soulignant que l’interdiction avait été levée à la mi-avril.  Le directeur de la Santé publique doit poursuivre son témoignage lundi.

Marguerite Blais, ministre responsable des aînés, ne témoignera pas devant la coroner Kamel présumément en raison de problèmes de santé.  Elle sera remplacée par l’ex-sous-ministre à la Santé Yvan Gendron et par l’ancienne ministre de la Santé maintenant à l’Éducation supérieure, Danielle McCann, celle-là même qui est visée, ainsi qu’Horacio Arruda, par la plainte pour négligence criminelle déposée par le président du CPM. 

La confrontation, qui aura lieu les 16 et 17 novembre prochains, promet d’être intéressante…

Le mot de la fin

C’est précisément au président du CPM, Paul Brunet, que je laisserai le mot de la fin de ce tragique et probablement évitable épisode de l’histoire du Québec :

« Ce que je souhaite et que je dis depuis le début, c'est que quelqu'un réponde, [...] que quelqu'un soit imputable de ce qui est arrivé, pour que les familles puissent enfin faire leur deuil, a expliqué M. Brunet en entrevue après son témoignage devant la coroner. »

 

Ce vœu, nous sommes un grand nombre à le soutenir.



[1] J’ai travaillé sept ans en milieu hospitalier en tant qu’agent de service privé, un type d’agent de sécurité chargé de veiller sur des patients psychiatrisés, leurs voisins de chambre ou de civière, et sur le personnel infirmier les entourant.  J’ai eu souvent à travailler en isolation, c’est-à-dire dans une chambre ou à l’urgence auprès de personnes très souvent âgées, atteintes de bactérie C-difficile, de zona, de SARM, d’hépatite C, entre autres infections.

Je devais pour l’occasion revêtir blouse, gants et, bien sûr, masque de procédure.  Bien que les patients étaient infectés, nous devions porter cet attirail surtout pour ne pas les contaminer, en raison de la fragilité de leur système immunitaire, par un microbe ou un virus venu de l’extérieur.

Quand la famille d’un patient venait le visiter, je devais veiller à ce qu’elle respecte une série de mesures préventives des plus simples : se passer les mains au Purell, revêtir une blouse protectrice en s’assurant qu’elle soit bien fermée à l’arrière afin que les visiteurs ne se contaminent pas sur une chaise, puis, enfiler masque et gants, le tout avant de rentrer dans la chambre.  La visite terminée, les visiteurs devaient retirer blouse, masque et gants, et jeter le tout dans un bac à cet effet avant de quitter la chambre après s’être désinfecté les mains.

Cette procédure fonctionnait en milieu hospitalier envers toutes les infections possibles et imaginables.  Pourquoi, soudainement, devaient-elles cesser d’être efficaces en CHSLD ?

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