samedi 9 avril 2022

Hécatombe dans les CHSLD : et si on parlait de responsabilité ministérielle ?

Danielle McCann et Marguerite Blais
On ne peut aborder le sujet consternant de la totale dérive de la gestion des CHSLD en pandémie sans évoquer le concept de responsabilité ministérielle, autant individuelle que collective.  Qui dit gestion, dit gestionnaires et donc, responsables de ladite gestion, qu’elle soit efficace ou catastrophique, comme ce fut hélas le cas au Québec qui détient le pire bilan au Canada quant au taux de mortalité dans les établissements pour personnes âgées.

L’ancienne ministre de la Santé, Danielle McCann, et la ministre des Aînés, Marguerite Blais, ont annoncé qu’elles ne se représenteraient pas aux prochaines élections.  La sempiternelle ritournelle des raisons familiales, les deux futures ex politiciennes étant grands-mères, a été invoquée pour expliquer leur décision, une raison qui n’abusera aucune personne dotée d’un tant soit peu de jugement critique.

On attend avec impatience le rapport du coroner sur l’hécatombe des personnes âgées en CHSLD, dont un nombre affolant ont été retrouvés isolées, affligées par des conditions d’insalubrité innommables, affamées, déshydratées, sous médicamentés et abandonnées par leurs proches et par un personnel nettement insuffisant. 

Un véritable carnage, qui n’a cependant pas empêché François Legault de s’attribuer une note parfaite pour sa gestion de crise !  Voilà qui s’appelle joindre l’injure à l’indifférence.

Qu’est-ce que la responsabilité ministérielle ?

Selon ce document de l’Assemblée nationale, la responsabilité ministérielle individuelle se définit comme suit :

« Les ministres sont individuellement responsables de la gestion de leur ministère. Ils doivent présenter les politiques et défendre les actions entreprises par leur ministère. Devant l'Assemblée, un ministre doit répondre non seulement de ses propres actions, mais aussi de celles de ses fonctionnaires. Il pourrait même être forcé de démissionner en raison d'un cas important de mauvaise gestion. (…) »

On ne peut être plus clair.  Les CHSLD relevant du ministère de la Santé, c’est la ministre de l’époque, soit Danielle McCann, qui doit répondre non seulement de sa gestion, mais également de celle de ses fonctionnaires, qui fut désastreuse.  Ce constat vaut également pour Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés et des proches aidants, vous savez, ceux qu’on a empêché de porter aide et assistance aux aînés dont ils voulaient s’occuper.

Il ne faudrait pas oublier non plus cet absent, Horacio Arruda, directeur général de la santé publique et sous-ministre adjoint en prévention, promotion, planification et protection en santé publique, autant de titres dont on se demande quelle pertinence ils possèdent encore, associés à son nom.

« Il faut que quelqu'un finisse par répondre de ça. » - Paul Brunet

Rappelons que M Arruda et Mme McCann font l’objet d’une plainte pour négligence criminelle déposée, à titre personnel, par Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades.  Ce dernier s’était d’ailleurs exprimé en termes bien sentis devant la coroner Géhane Kamel :

« Il faut que quelqu'un finisse par répondre de ça, a lancé Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades CPM, dans un témoignage émouvant livré au palais de justice de Québec, au quatrième jour du volet national de l’enquête publique du coroner. »

 

Et Legault, dans tout ça ?

 

La question de la responsabilité du premier ministre Legault ne peut être ignorée, qu’il se trouve parfait ou pas.  Toujours selon le document de l’Assemblée nationale cité plus haut :

« La responsabilité ministérielle collective

Le premier ministre et ses ministres sont responsables collectivement devant l'Assemblée des actions de leur gouvernement. C'est ce qu'on appelle la responsabilité ministérielle collective ou la solidarité ministérielle. Le Conseil des ministres parle d'une seule voix et chaque ministre est responsable des décisions qui y sont prises, qu'il y soit favorable ou pas. »

Des questions ?


En clair, c’est non seulement François Legault qui reste imputable de la gestion désastreuse des CHSLD, mais tout son gouvernement, celui-là même que notre bon peuple pourrait étourdiment réélire de façon éclatante le 3 octobre prochain...

Legault ne veut pas d’enquête publique

On ne se surprendra donc pas de ses propos de décembre dernier à l’effet que, selon lui, les Québécois ne voulaient pas d’enquête publique indépendante sur l’hécatombe en CHSLD malgré le fait que 60 % des mêmes Québécois s’étaient montrés insatisfaits de sa gestion dans ces établissements.  

Pour qui se prend-t-il pour affirmer parler au nom des Québécois ?  Il avait cependant dans sa manche un argument défendable :

« Après le rapport de la Protectrice du citoyen, ceux de la coroner, de la Vérificatrice générale et de la Commissaire à la santé seront attendus au cours des prochains mois. Pour François Legault, les quatre institutions « ont tous les pouvoirs » pour mener à bien leurs enquêtes. »

Cependant, malgré la déroute meurtrière qui a fait 6700 victimes chez nos aînés, notre bon peuple affichait à la même époque un taux d’approbation exorbitant de 73 % de la gestion générale de la pandémie, selon un sondage Léger, qu’on peut toutefois soupçonner de parti pris gouvernemental :

« D’ailleurs, les troupes caquistes ont clairement repris le dessus depuis le printemps 2020, aux yeux des électeurs : la gestion générale de la pandémie reçoit l’approbation de 73 % des répondants. « C’est un taux extrêmement élevé. C’est le plus élevé au Canada », dit M. Léger. »

Une expression typiquement québécoise s’applique à ces braves gens : des poules pas de tête…

Une ministre sur le grill

Absente jusqu’en janvier des audiences devant la coroner, Marguerite Blais n’a pas été épargnée jeudi en chambre quant à sa gestion du CHSLD Herron, le plus emblématique du désastre organisationnel dont ont été victimes des milliers d’aînés :

« Ils (quatre députés libéraux) l’accusent de n’avoir fait « aucun suivi » pendant 12 jours après avoir été alerté par courriel dans la nuit du 29 au 30 mars 2020 sur la situation dramatique dans cet établissement. On lui reproche également de ne pas avoir fait remonter l’information au bureau du premier ministre. Le gouvernement soutient qu’il a pris connaissance de l’ampleur du drame au CHSLD Herron dans l’article du quotidien The Gazette le 10 avril. »

Pas évident d'identifier clairement des responsables, comme vont l'indiquer les paragraphes suivants. 

Blais ment-elle pour protéger le gouvernement ?

En ce qui concerne la gestion globale des CHSLD, un ouvrage cité dans cet article présente une version des faits en totale contradiction avec celle présentée par l’intéressée en janvier dernier devant la coroner :

L’ouvrage des journalistes de La Presse Katia Gagnon, Ariane Lacoursière et Gabrielle Duchaine révèle pourtant des entrevues inédites avec Mme Blais et sa cheffe de cabinet, Pascale Fréchette, qui entrent en contradiction avec le récit de la ministre lors de l’enquête publique. On apprend que les deux femmes « ont hurlé » dans la cellule de crise pour faire cesser les transferts en CHSLD, au printemps 2020. »

Interrogée sur ce point précis, Mme Blais a réitéré sa version des faits, telle que présentée devant la coroner :

« Elle (Marguerite Blais) a réitéré que de transférer des patients des hôpitaux vers les CHSLD était « ce qu’il fallait faire » au début de la pandémie alors que « tous les yeux étaient tournés vers l’Europe, où les hôpitaux débordaient ».

Pas plus avancés...

Une impression de déjà-vu…

Jean Charest n’hésitait pas à sacrifier ses ministres pour conserver le pouvoir.  Les départ de Marguerite Blais et de Danielle McCann ne sont pas sans évoquer ce procédé.  Mme Blais a-t-elle modifié la version de sa gestion des CHSLD afin de protéger Legault même si elle a avoué précédemment avoir tiré la sonnette d’alarme ? 

Quoi qu’il en soit, il faudra bien un jour identifier les responsables de l’hécatombe des CHSLD et sévir contre eux.  Responsables, car il y a eu bel et bien une négligence criminelle qu’on ne peut passer sous silence avec 6700 décès.  Le principe de responsabilité ministérielle doit s’appliquer, autant envers Legault qu’envers ses ministres.

Il faudrait que les Québécois gardent en mémoire ce triste épisode, « digne » des orphelins de Duplessis, au moment d’apposer leur « x » dans l’isoloir ce 3 octobre.

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