« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent, » affirmait Albert Einstein. Cette maxime m’est revenue à l’esprit à la lecture d’un article paru récemment sur la loi C-36 régissant la prostitution et ses inévitables errances.
Pourtant,
ce n’est pas la première fois que je lis qu’en criminalisant les clients des
prostituées, notre système pousse ses dernières vers une clandestinité qui
compromet encore plus lourdement leur sécurité. La loi C-36, adoptée en
2014 par le gouvernement fédéral conservateur, prétendait pourtant protéger les
travailleuses du sexe.
Il
aura fallu le décès tragique de Marylène Lévesque, assassinée le 22 janvier
2020, pour infliger un sévère démenti à cette prétention qui relevait
davantage d’une idéologie déconnectée que de l’observation de la réalité sur le
terrain.
Des « compromis sur la
sécurité »
Ainsi
que le constate Sandra Wesley, directrice générale de Stella, un organisme de
défense des droits des travailleuses et travailleurs du sexe :
« La situation s’est assurément dégradée pour les
travailleuses du sexe. On doit faire de plus en plus de
compromis sur le plan de la sécurité afin de s’assurer que les clients [ne se
fassent pas arrêter]. »
Depuis
2014, il est interdit par la loi de payer des services sexuels. Le client
peut se voir arrêté et condamné, mais pas la prostituée. En vue de
continuer à gagner leur vie, ces femmes et certains hommes la risquent en
disparaissant de l’écran radar de ceux-là mêmes qui pourraient assurer leur
sécurité en cas de danger : les policiers. Parlez-moi d’une loi
sécuritaire…
Une réserve à signaler les
clients dangereux
On
note la même réserve à signaler des clients dangereux chez les propriétaires de
salons de massage ou d’autres établissements où se déroulent des activités
sexuelles tarifées, comme le confirme Yanik Chicoine, propriétaire d’un salon
de l’est de Montréal :
« Je peux dire que la majorité d’entre eux
n’appelleraient pas la police, parce qu’ils ont peur », souligne celui qui
dirige aussi l’Association des salons de massages érotiques du Québec.
La
prostitution de rue aurait diminué de 50 % en Suède ?
Depuis
que la Suède s’est improvisée chef de file du mouvement abolitionniste en
criminalisant le client dès 1999, ce pays s’est déjà vanté d’avoir diminué la
prostitution de rue de 50 %. Notez qu’il est question de prostitution «
de rue ». Que sont donc devenues ces travailleuses du sexe ?
Retournées aux études ? Devenues médecins, avocates, secrétaires de
direction, enseignantes, infirmières ? Vous y croyez ?
Dans
ce pays où l’on se montre si discret sur la problématique de la recrudescence
des agressions sexuelles entraînées par une immigration massive, on affiche un
optimisme béat :
« Aucun indice ne laisse accroire un regain de violences. « Selon les
prostituées, il y en a même beaucoup moins qu’à l’étranger, souligne Simon
Häggström, chef de la brigade antiprostitution de Stockholm. Car elles savent qu’au
moindre problème, elles peuvent nous appeler. » En outre, la loi
aurait, selon la police, canalisé la criminalité organisée… qui préfère
s’installer dans les pays voisins. »
Le
Danemark ne marche pas…
Le Danemark n’a pas sauté dans le train répressif de la
Suède, comme le
soulignait Antoine No Lastname, auteur d’un essai anti-abolitionnisme
intitulé Délivrez-nous des
dogmes :
« Or, son voisin le plus proche [de la Suède], le
Danemark, après avoir étudié le bilan du « modèle nordique », ce pays
a décidé de ne pas le suivre, car il n’améliorait en rien la situation
des sexworkers, et a renoncé à pénaliser
le recours à la prostitution; une étude financée en 2010 par le
gouvernement danois avait clairement conclu que « la prostitution
ne peut pas être traitée comme une entité monolithique et homogène » et
que « de nombreux travailleurs sexuels ont choisi leur profession, ils n’y
ont pas été contraints. » »
Les
prostituées françaises, pas aussi jovialistes que la Suède officielle
Malgré
des études poussées faisant état de la complexité du plus vieux métier du
monde, la France a décidé en 2016 d’emboiter le pas à la Suède et de
criminaliser le client. Dans cet
article,
un rapport fait état des préoccupations des prostituées, et non des boniments
de porte-parole officiels. Elles sont loin de partager l’optimisme
bisounours des officiels suédois :
« Le vote de la loi prostitution en
avril, « semble
avoir plutôt favorisé les violences à l’égard des prostituées qu’accru leur
protection », souligne le rapport.
« Depuis lors, les clients sont passibles d’une amende de
1 500 €, pouvant monter à 3 750 en cas de récidive. Ce qui a causé leur
raréfaction et une paupérisation des travailleuses du sexe. Par ailleurs, les
clients qui restent sont eux plus enclins à négocier les prestations à la
baisse ou le port du préservatif, selon ces associations.
« Les prostituées sont devenues tellement précaires
du fait de la pénalisation du client que certaines ont accepté des rapports
avec d’anciens agresseurs en espérant qu’ils seraient moins violents »,
s’étrangle Mme Maffesoli. »
« Cette
absurdité digne de la brigade des mœurs du dix-neuvième siècle »
Voilà des constats qui semblent donner raison à Alban Ketelbuters, doctorant en études littéraires à l’UQÀM, étonnamment membre de l’Institut de recherches et d’études féministes de cette université, qui affirmait dès 2012 :
« La politique de
pénalisation des clients, cette absurdité digne de la brigade des
mœurs du dix-neuvième siècle, tout comme l’éradication en surface de la
présence des prostitué-e-s dans les grandes villes, n’ont fait que durcir
les conditions d’exercice d’un métier qui ne disparaîtra jamais. »
Un jugement sévère
Ces
propos viennent confirmer ceux d’Antoine NoLastname, qui avait
tenu ce jugement sévère sur le lobby abolitionniste :
« En réalité, les mouvements abolitionnistes, qui
prétendent vouloir venir en aide aux prostitué(e)s, sont en très grande
part responsables de l’ensemble des maux, violence, précarité, vulnérabilité à
l’exploitation, stigmate, qui frappent cette profession. Quand ces mouvements
cherchent à vous apitoyer en dénonçant les terribles conditions de travail des
prostituées, les attaques dont elles sont victimes, leur espérance de vie plus
courte que celle des autres personnes, ils oublient de dire
que ce sont eux, et les règlements prohibitionnistes qu’ils ont érigés et
qu’ils proposent encore d’aggraver, qui sont la cause directe de toutes ces
souffrances. »
Une réalité trop complexe pour
une solution unique
La
problématique de la prostitution demeure très complexe. À l’évidence, les
thèses abolitionnistes sont mises à mal par la réalité sur le terrain, qui en
démontre la vacuité. Faut-il pour autant adhérer à l’autre extrême, soit
la position de la Fédération des femmes du Québec pour qui la
prostitution ne semble pas davantage poser de problèmes que la livraison de
pizzas ?
Peut-on
fermer les yeux sur la prostitution juvénile ou sur les femmes forcées de se
prostituer soit par la violence, soit par la dépendance aux drogues ou à l’argent
? Il n’y aura jamais de solution unique de type « one size fits
all » à une telle problématique. À défaut de savoir pertinemment
quelles mesures adopter, on peut au moins en identifier une à abolir : la
criminalisation du client.
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