C’est souvent à travers nos enfants que nous apprenons à nous comprendre. Comme la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, il arrive que notre progéniture, génétiquement programmée par l’hérédité, reproduise certains de nos traits de caractère et les comportements qui en résultent. On voudrait ne pas s’en rendre compte qu’il survient toujours un conjoint, un ami ou pire, un inconnu, pour nous rappeler ces ressemblances. Si ces caractéristiques persistent, les mots pour les définir et les réactions qu’elles suscitent varient au gré des époques et des tendances.
Ainsi quand, au bout de deux ans de tâtonnements et de plans d’intervention mis en oeuvre à son école, mon garçon fut diagnostiqué à sept ans hyperactif avec déficit d’attention, nos inquiétudes, à sa mère et moi, connurent une accalmie. Enfin, nous savions pourquoi il ne tenait pas en place et se montrait récalcitrant à toute forme d’autorité, même la plus bienveillante. Comme, enfant, la mère de Jérémie était sage comme une image, je n’avais d’autre alternative que de jeter sur mon passé un regard sans complaisance.
Hormis certaines anecdotes ressassées lors de réunions familiales, sans doute exagérées, mes souvenirs d’école primaire dirigée par des religieuses trahissaient les antécédents héréditaires de mon garçon. Impossible de le renier. Au pensionnat, où le comportement des enfants était évalué selon les couleurs, verte pour bon, jaune pour passable et rouge pour répréhensible, mon parcours semestriel, affiché comme les autres au dortoir, ressemblait au fil des semaines à un long trait de ketchup entrecoupé d’un peu de moutarde et d’encore moins de relish. Lors des répétitions en vue d’un spectacle du temps des fêtes destiné aux parents, j’entendis la voix pointue d’une sœur déclarer à une collègue que le rôle du démon m’était prédestiné…
J’en venais presque à croire qu’il y avait du vrai, dans cette boutade douteuse, tant il m’était par moments difficile de garder contenance dans cet environnement austère. Pour tout arranger, je désobéissais parfois non pas délibérément, mais par distraction, simplement parce que je pensais à autre chose au moment où les consignes étaient données. Mon impulsivité me valait le qualificatif d’ « excité » et mon étourderie, l’expression « dans la lune ». Aujourd’hui, on emploierait naturellement les termes « hyperactif » et « déficit d’attention »…
À l’époque, il n’y avait pas de Ritalin pour les enfants comme moi, encore moins de psychologue ou d’orthopédagogue à l’école. La grande noirceur ne s’était pas éteinte avec l’arrivée au pouvoir en 1960 de Jean Lesage et de son équipe du tonnerre. Pour moi comme pour d’autres, il n’y avait que les sœurs, toutes de noir vêtues, les activités obligatoires, les pénitences et les menaces de l’enfer. Que de frissons n’ai-je pas eu, à m’imaginer, méchant garnement, embroché pour l’éternité comme un méchoui, arrosé d’huile bouillante par un diable rouge, ricanant devant mon irrémédiable perdition.
À notre époque où l’on questionne, non sans raison, le recours au Ritalin, plus fréquent au Québec qu’ailleurs au Canada, il importe de se rappeler d’où l’on vient et de mesurer les progrès accomplis. Plus d’une fois, j’ai été émerveillé et reconnaissant envers le personnel enseignant et les intervenants présents lors des plans d’interventions qui, au fil des ans, ont aidé mon garçon à se prendre en main. La médication n’est qu’un élément de solution parmi d’autres. Le soutien de personnes qualifiées peut faire la différence, chez un jeune, entre se réaliser en travaillant lucidement sur soi-même et finir enfin par s’en sortir, tant bien que mal.
Rétrolivier paru dans Le Soleil du 11 juin 2009
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