Une thèse : Jack l’Éventreur démasqué ?...
En 1988, une mini-série signée David Wickes, affichant des prétentions documentaires irréfutables, revendiquait la solution de l’une des énigmes criminelles les plus déroutantes de l’histoire. L’inspecteur Frederik Abberline, incarné par Michael Caine, avait démasqué Jack l’Éventreur, le tueur en série qui avait sauvagement assassiné cinq prostituées pendant l’automne 1888 à Whitechapel, un quartier misérable de Londres. Le coupable était nul autre que Sir William Gull, médecin de la reine Victoria, assisté d’un cocher qui attirait les victimes dans une berline royale où le monstre, en toute quiétude, les égorgeait avant de les éventrer.
Hypothèse audacieuse, spectaculaire, invraisemblable. Parmi l’amoncellement de témoignages sur cette sinistre affaire, aucun signalement de berline royale, pour le moins voyante, n’a été consigné. Gull, à l’époque, était un vieillard paralysé du côté gauche alors que l’on prétendait le tueur gaucher. Annie Chapman, deuxième victime, avait par ailleurs été découverte dans une cour arrière et les éclaboussures de sang trouvées sur place correspondaient aux lacérations pratiquées par son assaillant. Oubliez la berline. Trois semaines plus tard, le meurtrier avait été interrompu par un passant lors du meurtre de la troisième victime, Elizabeth Stride, et n’avait pu l’éventrer. Dans une berline, pas d’empêchement possible. Enfin, la dernière proie, Mary Jane Kelly, victime du pire carnage, avait été agressée chez elle.
Parmi les plus récentes théories sur la tuerie des cinq victimes alléguées, passons rapidement sur le film From Hell, avec Johnny Depp, qui reprend la thèse farfelue d’un complot royal, cent fois ridiculisée. Par ailleurs, un très contesté journal de Jack l’Éventreur, découvert dans des circonstances nébuleuses en 1991, désigne un respectable marchand de coton de Liverpool.
À la suite de ce fatras de solutions à gogo, le dernier essai en date, intitulé Jack l’Éventreur démasqué, signé Sophie Herfort et paru aux éditions Points, apporte un éclairage inédit et troublant. Voilà une thèse qui, à défaut de faire incontestablement la lumière sur ce mystère vieux de 120 ans, présente une théorie en apparence vraisemblable, appuyée par une documentation considérable et vérifiable.
Trois jours avant le premier meurtre, un nommé Melville Macnaughten, « pistonné » par un ami influent en vue d’un poste de prestige à Scotland Yard, se voit éconduit grossièrement par le préfet de police, Sir Charles Warren. Ancien chasseur aux Indes et doté de connaissances en taxidermie, l’homme évincé détournera ses compétences vers Mary Ann Nichols, sa première victime. Son but, selon l’auteure : entreprendre une série de meurtres crapuleux insolubles qui forceront la démission de l’homme qui l’a humilié. De fait, les meurtres cesseront après le départ de Warren, demandé par la reine.
Après avoir vaincu son ennemi, Macnaughten, qui entreprendra une brillante carrière de 22 ans au Yard, avouera dans sa correspondance connaître l’identité du tueur, mais avoir brûlé toutes les preuves. Pourquoi avoir renoncé au prestige de solutionner l’énigme brûlante du XIXe siècle ? Herfort cite des hauts fonctionnaires du Yard qui ont admis à l’époque avoir observé sur l’affaire un devoir de réserve afin de préserver leur institution, l’un d’eux allant jusqu’à parler d’une « patate chaude ».
Précisons à ce propos que, selon Stéphane Bourgouin, de loin le spécialiste francophone le plus crédible sur Jack l’Éventreur, les réserves de ces hauts dirigeants relevaient du fait que leur principal suspect, un Juif polonais nommé Aaron Kosminski, avait été identifié par un compatriote qui s’était finalement désisté.
La « patate chaude » et le désir de préserver leur institution auraient en fait résulté du dilemme de présenter un coupable, mais de ne détenir ni preuve, ni témoignage déterminant. En plus de valoir à Scotland Yard des accusations d’antisémitisme, une telle révélation, incriminant un membre de la communauté juive, aurait suscité un branle-bas de combat xénophobe dans l’East End de Londres.
Cette hypothèse, moins spectaculaire, était connue de Sophie Herfort, puisqu’elle cite le livre dont elle est tirée. L’auteure était-elle vraiment à la recherche de la vérité sur l’affaire des meurtres de Whitechapel, ou a-t-elle souhaité se démarquer par une solution plus spectaculaire ? Les paris restent ouverts…
… Et demie : à classer…
… dans le même tiroir que les théories fumeuses de Stephen Knight, impliquant le complot royal aux relents de franc-maçonnerie, ou de Shirley Harrison, à propos du présumé journal du tueur de Whitechapel. Patricia Cornwell propose ici une thèse qui relève davantage de la spéculation sensationnaliste que de la preuve formelle. Son analyse dite scientifique d’ADN sur des documents vieux de 120 ans, manipulés par tant d’analystes, demeure par trop aléatoire. Précisons, pour la forme, que c’est Walter Sickert, artiste-peintre, qui endosse cette fois la redingote et le haut-de-forme rituels de Gentleman Jack.
Le livre de cette auteure de romans policiers reste cependant un divertissement passable, mais ne doit pas être pris davantage au sérieux que la mini-série de David Wickes ou que le film From Hell, qui reprend la thèse du complot royal.
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