Jusqu’à récemment, magasiner des effets personnels n’avait jamais été un problème pour moi. Bien sûr, je suis animé d’une volonté bien masculine de trouver tout de suite et de sortir au plus tôt d’un commerce. À peu près tout ce que j’essaie comme vêtements ou chaussures me va presque du premier coup et changer de lunettes aux cinq ans est aussi simple que de poster une lettre. Oui, j’ai une chance insolente, et je le sais.
C’est sans doute pour ça que le destin devait me présenter un état de compte de sa façon. Un indice de probabilités aussi favorable ne pouvait pas durer. C’est le 15 septembre dernier que ma quiétude quotidienne bascula. Cette journée-là, j’allais prendre possession de mes nouvelles lunettes chez mon optométriste. Cette fois, j’éprouvais quelque vague appréhension. Rien de défini, à part cette mode unilatérale de montures à courte vue, qui totalisent à peine les deux tiers de la hauteur des modèles précédents. Je les jugeais un peu courtes, mais essayez de trouver autre chose sur le marché, vous m’en direz des nouvelles.
Un écriteau m’avisait que mes verres haute définition nécessiteraient un certain temps d’adaptation. Aussi ne fus-je pas surpris d’éprouver certains tiraillements, au début. Au bout d’une semaine, je demandais à la technicienne d’ajuster ma monture, devant l’inconfort persistant qui allait jusqu’aux douleurs musculaires sous les yeux. Sitôt ajustée, sitôt fonctionnelle… quelque temps. Puis le problème revenait. Nouvel ajustement, nouveau confort retrouvé, nouvelles douleurs, après un jour ou deux.
Au bout de quelques semaines de ce cycle, ma patience commençait à s’effriter. Aussi demandais-je à la technicienne de vérifier la prescription de mes verres : tout était normal. Pourtant, le problème perdurait. Je m’adressais ensuite à mon optométriste, confiant qu’il règlerait le cas. Perplexe, il me rappela après examen des verres, et me confirma que ma prescription était bien conforme. Il me convoqua à son bureau et m’examina en personne, sans rien déceler d’anormal. Tout au plus avait-il modifié légèrement l’inclinaison des verres.
J’avais reçu ces fichues lunettes depuis quatre mois déjà et m’arrachais toujours les yeux à voir dedans, au point que mon œil gauche était devenu injecté de sang. Je décidais donc de remettre mon ancienne mais confortable monture et de chercher une deuxième opinion auprès d’un autre optométriste. Après examen, celui-ci me confirma que la prescription était en tout points conforme. Peut-être faisais-je partie des 10 % de gens qui ne supportaient pas la nouvelle technologie haute définition. J’étais bien avancé !
Arrivé chez moi, je remis mes nouvelles lunettes. Avec le recul, l’évidence me sauta aux yeux. Elles étaient vraiment trop courtes ! Mon appréhension initiale était fondée. J’en parlais à mes deux optométristes, qui trouvèrent l’hypothèse plausible. Il fallut un œil de limier, là où je faisais affaire, pour trouver la seule monture ayant la même hauteur que mes anciennes lunettes. Mur à mur, ne trônaient que ces ridicules petits lorgnons ! Deux semaines plus tard, je prenais possession de mes nouvelles lunettes. Le problème était réglé. Reste maintenant celui de la nouvelle monture, lourde et rigide… Un conseil aux modistes à l’origine de ces modèles dont l’esthétique douteuse prime sur la vision : quand vous lancerez une nouvelle mode unique saugrenue, ayez plutôt le tact de vous casser une jambe. Vous serez alors vos seules victimes.
Rétrolivier paru dans Le Soleil du 21 mars 2009.
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